La photo, « c’est magique » pour reveiller les souvenirs. Les Rencontres d’Arles mettent en place pour la premiere fois des visites dediees a des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et a leurs aidants, une forme de « museotherapie » qui se developpe en France.
« Prendre soin de soi et de la maladie ne passe pas forcement par le medicament. Surtout dans cette maladie ou il n’y a pas de traitement. Mais on peut soigner le lien social », glisse Faustine Viailly, psychologue specialiste en gerontologie.
Elle voit regulierement des malades qui n’osent plus aller a la chorale de peur d’oublier les paroles des chants et des proches qui craignent de les laisser sortir. D’ou l’interet pour elle de monter ces visites encadrees, car « plus c’est adapte, plus on va oser y aller ».
Ce matin-la, c’est Adrien Julliard, artiste plasticien de 28 ans, qui assure la mediation culturelle de « Wagon-bar », l’une des nombreuses expositions de la 55e edition de ce festival de photographie, l’un des plus reputes au monde, qui se tient jusqu’au 29 septembre dans le sud-est de la France.
Elle retrace l’histoire du repas ferroviaire. Un sujet de niche mais qui fait remonter les images, odeurs et sons que chacun porte de ses voyages en train. Comme Jean qui se met a parler spontanement d’un trajet recent avec la compagnie espagnole Renfe, partageant sa surprise d’avoir vu le chariot-bar passer encore dans les wagons.
La photo, « c’est magique », sourit Nicole Guenser, vice-presidente de l’association France Alzheimer des Bouches-du-Rhone, partenaire de cette initiative baptisee « Sensibilites instantanees ».
Avec Alzheimer, la memoire immediate disparait, « on ne peut rien y faire » mais on peut « travailler sur la memoire ancienne », le seul moyen de communiquer dans les familles, raconte Nicole.
« Le fait de voir une photographie permet de convoquer des souvenirs, sans meme avoir besoin de mobiliser une reflexion autour de l’image », abonde Aurelie de Lanlay, directrice-adjointe du festival.
L’enjeu « n’est pas que la memoire visuelle, mais aussi le toucher et le gout, pour reparler des souvenirs, partager un moment d’echange » et permettre aussi un temps « d’apaisement » a l’aidant qui est souvent en etat d’epuisement, ajoute-t-elle.
D’ailleurs, ce jour-la, certains couples se sont desistes a la derniere minute. Trop de fatigue, trop de rendez-vous a gerer.
– Un calisson, reveil des emotions –
Mais pour Jean et sa femme Anne, septuagenaires venus specialement de Marseille, cette visite-atelier fut « a la fois amusante et interessante ». Comme lorsqu’ils ont du mimer des photos pour les faire deviner au groupe. Ou deguster certains produits – calisson, cachou, sirop de violette, chips de legumes anciens – et l’associer a une emotion, puis lier tout cela a une des photos du festival pre-selectionnees.
Comme cette image d’un baiser que l’une des participantes a liee aux chips car « c’est croustillant », un autre au cachou, pour avoir une haleine fraiche avant de s’embrasser.
« Pour moi, c’etait important de jouer sur la synesthesie, parce qu’une image peut avoir un bruit, un gout » et « c’est interessant d’aller stimuler la memoire par tous les champs possibles », explique Adrien Julliard.
« C’est ce moment de reveil des emotions, des sens, qui est formidable. Et on entend nos aidants qui disent tres souvent: +waouh, mais quel beau moment, ca fait longtemps qu’on ne l’a pas vu comme ca+ », confie Nathalie Martin, deleguee generale de la Fondation Swiss Life qui finance ce type d’actions depuis une quinzaine d’annees.
En France, le musee La Piscine, a Roubaix, est un precurseur et, depuis, de nombreux grands musees l’ont suivi.
« Sans langue de bois, je crois qu’il y a honnetement des gros progres qui sont faits » meme si la France n’est pas « la meilleure de la classe », poursuit Nathalie Martin.
« D’autres pays europeens sont bien mieux places en termes d’inclusion d’une maniere generale » et « les meilleurs » restent quand meme les Canadiens ou les Americains avec le MOmA, musee d’art moderne de New-York, ou le Musee des beaux-arts de Montreal qui ont ete les pionniers, conclut-elle.