Quand Bastien s’est suicide, a 24 ans, la vie de sa mere s’est disloquee comme sous l’effet « d’une bombe« . Depuis, elle lutte pour renouer avec la vie et parler d’un sujet encore tabou.
« Qu’est-ce que je n’ai pas vu ? »
« La perte d’un enfant, on n’y est jamais prepare, meme si c’est par maladie. Mais la, comme c’est lui qui est passe a l’acte, c’est l’incomprehension, le pourquoi ? Qu’est-ce que je n’ai pas vu ? » confie a l’AFP Marie-Noelle Cullieret, deux ans apres la perte de son fils unique. « On avait une jolie relation, on se parlait. Pourquoi je n’ai pas ressenti en tant que maman sa detresse ? » poursuit cette navigante d’une compagnie aerienne, 57 ans, aujourd’hui en arret.
Sur une etagere de son appartement a Marseille (sud de la France), une photo de Bastien souriant, entouree de bougies et de fleurs. L’etudiant revait d’etre pilote de ligne et preparait un concours repute difficile. Il venait de rater un examen, « il etait en stress« . Mais ni Marie-Noelle ni les amis de Bastien n’avaient imagine que ce garcon, decrit comme « joyeux » et « qui avait une amoureuse« , disparaisse ainsi.
Solitude
Chaque annee, plus de 700.000 personnes se suicident dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la sante (OMS). Chez les jeunes de 15 a 29 ans, le suicide etait la quatrieme cause de deces en 2019, un recul puisqu’en 2015 il occupait la deuxieme position. Mais avec les confinements, la pandemie de Covid « a affecte la sante mentale des adolescents« , souligne l’OMS.
A titre d’exemple, « en France, on estime que 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent de troubles psychiques« , notaient l’annee derniere la presidente de l’Unicef France, Adeline Hazan, et deux pedopsychiatres. « Mais 750.000 a 850.000 seulement beneficient de soins en pedopsychiatrie« . De l’Afrique du Sud a la Finlande en passant par les Etats-Unis et le Guyana, parmi les plus touches par le suicide des jeunes, partout des milliers de parents voient leur vie percutee par la mort de leur enfant. L’OMS les appelle des « Survivants« .
« C’est un tel tremblement de terre qu’il faut tout reconstruire de zero« , temoignent aupres de l’AFP Fabrice et Helene de Carne, couple franco-belge quinquagenaire dont la fille Lou, etudiante en sciences politiques, est morte par suicide en 2021. Souvent les parents se retrouvent tres seuls face a une mort qui souleve chez eux « la gigantesque charge de la culpabilite » et « l’infernale question du pourquoi« , explique le psychiatre Christophe Faure lors d’une intervention pour l’association Empreintes proposant une aide specialisee en France. Avec plus de risques de passer eux-memes a l’acte suicidaire que dans d’autres cas de deuil, ajoute-t-il.
Tabou
« Quand il y a un deces d’enfant a l’hopital, c’est terrible, mais l’equipe soignante vous entoure. Moi, je suis allee au commissariat, j’ai recupere les affaires de Bastien et je suis allee chercher un cercueil, il n’y avait personne pour m’aider dans ma douleur« , se souvient Marie-Noelle Cullieret. Ensuite, « parfois, notre histoire renvoie a des peurs chez d’autres parents, qui nous evitent.«
Le suicide reste un sujet tabou, encore criminalise dans une vingtaine de pays, depenalise en Irlande seulement en 1993. Meme dans les pays ayant mis en place une strategie de prevention, la stigmatisation du passe, souvent liee a la religion, laisse des traces. En France, « trop rares sont les offres d’accompagnement« , notamment hors de Paris, et « peu d’associations sont formees au deuil post-suicide« , une cicatrisation longue et delicate, souligne aussi Marie Tournigand, deleguee generale d’Empreintes.
Apres la perte de Lou, Fabrice de Carne, informaticien, a joint la ligne d’aide psychologique de son entreprise. Mais les psychologues, specialistes des burn-out, n’ont pu l’aider. Avec Helene, ils ont finalement ete pris en charge par le Centre de prevention du suicide a Bruxelles, ou les psychiatres sont formes pour aider les parents devastes.
Repair
Proche de sombrer, Marie-Noelle Cullieret a rencontre Nathalie Paoli, fondatrice de l’association d’aide aux parents d’enfants decedes Le Point Rose qui organise des « journees des familles« . Sur sa terrasse ensoleillee a Cabries, a une vingtaine de kilometres de Marseille, croissants et biscuits a la fleur d’oranger sont poses sur une table avec du cafe et du the. Il est 10h00, des parents de tout le sud de la France arrivent. Ils se serrent dans les bras, certains se connaissent, d’autres non, tous ont en commun d’avoir perdu un enfant.
Un cercle se forme et Nathalie Paoli, 55 ans, qui a elle-meme perdu sa fille de huit ans Carla-Marie, guide ce groupe de parole: « La premiere annee, il faut accepter qu’on ne maitrise rien; souvent la deuxieme annee est plus dure que la premiere car la societe est moins comprehensive, des gens pensent qu’on manque de courage si on ne se redresse pas.«
Des larmes affleurent parfois, mais une main ou un mot viennent reconforter. Le bruissement du vent dans les arbres, le chant des oiseaux, la poule rousse qui gambade dans l’herbe avec les chats, insufflent de la douceur dans les silences. « La douleur est la, mais la vie aussi, ici et maintenant« , dit Mme Paoli qui veut faire reeprouver « des bonheurs tout simples, profiter de la saison, bricoler, marcher, faire des crepes, un terreau qui va reparer« .
Autour d’un atelier aquarelles, les parents peuvent verbaliser leur chagrin avec des gens qui vivent le meme drame. Leur entourage fait souvent le choix du silence, par peur de blesser. « Mais la parole est cathartique, donc les amis qui abordent le sujet de maniere simple nous aident« , dit Fabrice de Carne. « Ce n’est pas effrayant de parler des morts. Il faut qu’on change de culture« , plaide Marie-Noelle Cullieret, qui raconte une soiree avec les amis de Bastien a echanger des souvenirs: « C’etait drole et joyeux. Je me suis dit ‘ca peut etre ca aussi le deuil’.«
« Parler de Lou, ce n’est pas ressasser les memes souvenirs, c’est aussi parler de nous, de comment on se rebatit, comment la prevention du suicide est au coeur de notre vie desormais« , souligne Helene de Carne. Avec son mari, ils ont guide des amis vers la ligne d’urgence en France (3114), pour que leur fille aux pensees suicidaires soit prise en charge. Marie-Noelle Cullieret veut faire de la sensibilisation dans les lycees, universites : « Si je peux eviter que d’autres jeunes passent a l’acte comme Bastien, ca me donne envie de me lever le matin.«