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Au Kazakhstan, l’emergence de villages « sobres » contre l’alcoolisme

juillet 25, 2024

Sur les etageres des epiceries a Karakoudouk, pas une goutte d’alcool. Cette localite du Kazakhstan est parmi les pionnieres d’une tendance en plein essor dans les villages de ce pays d’Asie centrale: la prohibition.

Comme tant d’ex-republiques sovietiques, notamment la Russie, le Kazakhstan a herite d’un fleau: l’alcoolisme. Les autorites kazakhes veulent faire adherer la population a un « mode de vie sain », conduisant a des experiences de villages sans alcool.

Ici, pas de motif religieux: si l’islam est majoritaire, le Kazakhstan est laique, marque par des decennies d’atheisme sovietique.

« Si vous voulez boire, il y a de l’eau, des jus, des sodas, du lait fermente », propose a l’AFP Aiguerim Moukeeva, proprietaire du magasin « al-Nazar » a Karakoudouk, bourgade de quelque 650 habitants perdue dans la steppe.

Aiguerim Moukeeva dans son magasin al-Nazar a Karakoudouk au Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP - Ruslan PRYANIKOV)
Aiguerim Moukeeva dans son magasin al-Nazar a Karakoudouk au Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP – Ruslan PRYANIKOV)

Le ministere kazakh de l’Interieur recense au moins 97 localites « sobres », dont la moitie dans la region industrielle de Karaganda, ou se trouve Karakoudouk.

Selon la presse, le phenomene s’accelere et d’autres villages rejoignent le mouvement.

Officiellement, les pouvoirs publics ne sont pas a l’origine de ces experiences, qui « viennent de la population », assure a l’AFP un porte-parole de la police.

Social Control –

Village de Karakoudouk, dans la steppe du centre du Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP - Ruslan PRYANIKOV)
Village de Karakoudouk, dans la steppe du centre du Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP – Ruslan PRYANIKOV)

Ces initiatives sont generalement proposees par les anciens, au role crucial dans les societes centrasiatiques, exercant le controle social et agissant souvent comme auxiliaires de l’Etat.

C’est le poids du jugement de la communaute qui dissuade la population de sortir du rang. Legalement, l’alcool n’est donc pas interdit, tout est fait en revanche pour qu’il disparaisse.

« Le seul magasin qui vendait de l’alcool a ferme il y a quelques annees, faute de demande des habitants », dit Baouyrjan Joumagoulov, maire de Karakoudouk.

Mais l’ex-officier des forces speciales de la police glisse avoir « conseille » aux commercants de ne pas prolonger leur licence de vente.

Dans d’autres villages, des methodes plus radicales ont ete employees. A Abai (centre), les habitants ont brise les bouteilles d’alcool en vente, selon la television etatique.

« Nous sommes contre… la vodka ! » avaient scande trois fois, poing leve, le maire et les habitants, tandis qu’a Aksou (nord), la police a brise au bulldozer 1.186 bouteilles d’une epicerie ayant vendu de l’alcool la nuit.

Villageois a Karakoudouk, dans le centre du Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP - Ruslan PRYANIKOV)
Villageois a Karakoudouk, dans le centre du Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP – Ruslan PRYANIKOV)

Si les statistiques sur la consommation au Kazakhstan restent parcellaires – 4,5 litres par an et par habitant selon l’Organisation mondiale de la Sante, 7,7 litres d’apres le gouvernement -, les ravages societaux sont mieux quantifies.

Selon les autorites, l’alcool est la premiere cause de divorce et incrimine dans la moitie des cas de violences conjugales. A cela s’ajoutent d’autres delits et crimes commis en etat d’ebriete et 90.000 personnes officiellement recensees comme alcooliques, soit environ 0,5% de la population.

D’autres mesures ont ete mises en place dans les annees 2020, comme l’interdiction de vente d’alcool, de boissons energisantes et du tabac aux moins de 21 ans.

– Criminalite nulle –

Le policier Kouanych Kalelov a Karakoudouk, village du centre du Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP - Ruslan PRYANIKOV)
Le policier Kouanych Kalelov a Karakoudouk, village du centre du Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP – Ruslan PRYANIKOV)

Les medias louent eux les experiences de prohibition, citant les autorites qui proclament que la delinquance a disparu dans ces « villages exemplaires ».

A Karakoudouk, le commandant de police Kouanych Kalelov, pavoise: « le taux de criminalite est nul », sans evoquer quels delits etaient commis, ni la question des violences conjugales commises generalement dans le huis clos familial.

« Les jeunes du village menent un mode de vie sain », proclame le maire, montrant son projet phare, « un gymnase neuf pour un village sobre », a cote d’un dispensaire « construit a l’initiative du president Kassym-Jomart Tokaiev ».

Pour dissuader d’eventuels contrevenants tentes de rapporter quelques bieres de Karaganda, la capitale regionale distante de 30 kilometres, le commandant Kalelov rappelle aux jeunes « le risque d’amende (environ 35 euros) pour ivresse sur la voie publique ».

« Je fais de la prevention », assure le policier, qui patrouille dans sa Lada Niva blanche les rues cabossees du village, insistant sur les dangers de l’alcool au volant, avec 12.000 permis retires pour ivresse cette annee au Kazakhstan.

La fermiere Indira Eguenberdieva prepare du koumys dans le village de Karakoudouk au Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP - Ruslan PRYANIKOV)
La fermiere Indira Eguenberdieva prepare du koumys dans le village de Karakoudouk au Kazakhstan, le 22 juin 2024 (AFP – Ruslan PRYANIKOV)

Les habitants se disent enthousiastes, mais les journalistes de l’AFP ont visite le village en presence des services de securite, protocole courant en Asie centrale.

« Boire n’apporte rien de bon. Les jeunes doivent se tenir loin de l’alcool », martele le fermier Maksat Bitebaiev, un trentenaire assis sur sa moto, pour qui « la construction du gymnase est positif pour la jeunesse ».

Les aines assurent montrer l’exemple. « Avant on prenait de la biere, l’ete quand il faisait chaud », dit Serik Bakhaev, 68 ans. Plus maintenant. A la place, on boit du koumys, boisson a base de lait fermente de jument, brassee localement par Indira Eguenberdieva.

« On le vend partout, les magasins nous en achetent et des clients viennent de Karaganda », raconte la fermiere.

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