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Au Pakistan, une sage-femme tente d’adoucir le changement climatique sur des iles delaissees

juillet 8, 2024

Sur l’une des iles les plus densement peuplees du monde, au large du Pakistan, un groupe de femmes enceintes attend sous un soleil brulant l’unique sage-femme qui vient de Karachi, la plus grande ville du pays, sur l’autre rive.

Une fois par semaine, Neha Mankani, 38 ans, debarque avec son bateau ambulance sur Baba, une ile de pecheurs qui compte pres de 7.000 habitants sur un cinquieme de kilometre carre.

Avant qu’elle ne lance sa clinique sur l’ile en 2015, puis, l’an dernier, son service de transport maritime gratuit, les femmes enceintes et leurs enfants attendaient souvent longtemps sur la cote, a la merci des canicules de plus en plus longues et frequentes au Pakistan et des inondations, monnaie courante durant la mousson.

Aujourd’hui, c’est Zainab Bibi, 26 ans, qui vient consulter. Elle est de nouveau apres une fausse couche a six mois, un jour de canicule l’ete dernier sur son ile a la merci de la chaleur et de la montee des eaux.

La sage-femme Neha Mankani, a bord d'un bateau ambulance a destination de l'ile de Baba, lors d'une interview avec l'AFP, le 11 juin 2024 au Pakistan (AFP - Rizwan TABASSUM)
La sage-femme Neha Mankani, a bord d’un bateau ambulance a destination de l’ile de Baba, lors d’une interview avec l’AFP, le 11 juin 2024 au Pakistan (AFP – Rizwan TABASSUM)

« Il faisait tres chaud et je me suis sentie mal, ma tension a subitement baisse », se souvient-elle.

Apres avoir attendu des heures un bateau, « quand j’ai accouche a l’hopital, ma fille etait deja morte », raconte-t-elle a l’AFP.

Au Pakistan, l’un des pays les plus vulnerables au changement climatique, cette annee, le thermometre a deja grimpe a 53 degres.

– Risques multiplies par la canicule –

L’ete, « on voit plus de bebes qui naissent prematures ou en retard de croissance in utero et de fausses couches », rapporte Mme Mankani.

La sage-femme Neha Mankani (c) arrive a sa clinique devant laquelle des femmes enceintes attendent, le 11 juin 2024 sur l'ile de Baba, au Pakistan (AFP - Rizwan TABASSUM)
La sage-femme Neha Mankani (c) arrive a sa clinique devant laquelle des femmes enceintes attendent, le 11 juin 2024 sur l’ile de Baba, au Pakistan (AFP – Rizwan TABASSUM)

« Les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher et les nouveaux-nes sont bien plus affectes par le changement climatique ».

Une revue d’experts du British Journal of Obstetrics and Gynaecology le confirmait l’an dernier: le risque de naissance de bebes morts-nes est plus eleve quand les femmes sont exposees durablement a des temperatures plus hautes que 90% des normales saisonnieres.

En temps normal deja, rappelle la publication, le corps d’une femme enceinte subit des changements qui diminuent sa capacite a reguler sa temperature –tout comme les enfants.

Le Pakistan deplore 154 deces maternels pour 100.000 naissances vivantes, un taux eleve du, selon l’ONU, au manque d’acces aux soins en zones rurales, au manque d’information de meres souvent tres jeunes et a la pauvrete.

Et sur l’ile Baba et les quatre autres ilots qui bordent Karachi, les defis sont encore plus grands.

Mme Mankani a commence sa carriere il y a 16 ans a l’hopital de Karachi. Elle y voyait regulierement des femmes arriver avec des complications de ces petits bouts de terre en pleine mer d’Arabie.

La sage-femme Neha Mankin (g) examine une femme lors d'une consultation dans sa clinique de l'ile de Baba, le 6 juin 2024 au Pakistan (AFP - Rizwan TABASSUM)
La sage-femme Neha Mankin (g) examine une femme lors d’une consultation dans sa clinique de l’ile de Baba, le 6 juin 2024 au Pakistan (AFP – Rizwan TABASSUM)

Alors, en 2015, elle a lance le fonds « Baby Mama », pour y monter les premiers dispensaires pour mere et enfant. Puis, en 2023, son bateau gratuit.

Une delivrance pour Sabira Rachid qui, a 26 ans, a trois enfants –apres avoir perdu deux autres nourrissons, dont un, dit-elle, faute d’avoir trouve un bateau pour l’emmener a temps a l’hopital.

Son dernier enfant, une fille qu’elle a appelee Eesha, assure-t-elle, est en vie « grace au dispensaire de Neha ».

– Pauvrete et isolement –

Sur ces iles demunies –au large d’un pays ou 40% des habitants vivent sous le seuil de pauvrete– les filles sont souvent mariees a 16 ans par des familles appauvries par la pollution de l’eau qui a reduit la peche a peau de chagrin.

La sage-femme Neha Mankani (g) examine un nourrison dans sa clinique de l'ile de Baba, le 6 juin 2024 au Pakistan (AFP - Rizwan TABASSUM)
La sage-femme Neha Mankani (g) examine un nourrison dans sa clinique de l’ile de Baba, le 6 juin 2024 au Pakistan (AFP – Rizwan TABASSUM)

« Beaucoup de ces jeunes filles ne savent pas comment se soigner alors qu’elles tombent souvent malades a cause de la pollution de l’eau », temoigne Chahida Sumaar, aide-soignante de 45 ans du dispensaire de Mme Mankani.

En essuyant la sueur de son front avec son long foulard, elle exhorte les jeunes meres a boire beaucoup, se laver le sein avant d’allaiter ou leur enseigne comment emmailloter leur nouveau-ne dans une serviette propre et seche pour lutter contre la chaleur humide.

Des conseils vitaux dans des maisons sans eau courante, souvent sans electricite, ou les femmes cuisinent au-dessus d’un feu dans de petites pieces non ventilees.

Ayesha Mansour, 30 ans et quatre enfants, n’a que quatre a cinq heures de courant par jour dans son deux-pieces au bout d’un chemin de sacs plastiques, souvent recouverts par l’eau qui monte.

Une sage-femme (d) examine une femme lors d'une consultation dans une clinique sur l'ile de Baba, le 6 juin 2024 au Pakistan (AFP - Rizwan TABASSUM)
Une sage-femme (d) examine une femme lors d’une consultation dans une clinique sur l’ile de Baba, le 6 juin 2024 au Pakistan (AFP – Rizwan TABASSUM)

« Ceux qui ont des panneaux solaires affrontent mieux la chaleur, mais on ne peut pas se les payer », affirme-t-elle en chassant les mouches autour du visage de son dernier ne.

« En juin ou juillet, la chaleur est insupportable », abonde Mariam Aboubakr, aide-soignante de 18 ans.

Aller dans ces conditions jusqu’a Karachi, « c’est trop loin », poursuit cette native de l’ile qui espere devenir un jour la premiere sage-femme a temps plein de Baba.

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