Les femmes et animaux femelles ont historiquement été exclues des études cliniques et scientifiques. Pourtant, « étudier la santé en fonction du sexe et du genre bénéficie à tout le monde« , appuie la neuroscientifique Bronwyn Graham. La compréhension de la cognition en est un bon exemple. « Les femmes vivent plus longtemps que les hommes et montrent moins de soucis cognitifs avec l’âge« , révèle la neurobiologiste et neuroscientifique Dena Dubal.
Les deux femmes font partie des nombreux co-signataires d’une dizaine de publications sur la santé des femmes publiées dans la revue Science Advances, mêlant articles de recherche et commentaires. Des travaux qui éclairent l’influence des hormones et des chromosomes X sur la cognition, son vieillissement naturel et ses pathologies associées pour les deux sexes.
Un chromosome X silencieux qui se réveille avec l’âge
« On sait que les cerveaux des femmes sont biologiquement et épigénétiquement plus jeunes que ceux des hommes. En clair, l’horloge biologique des cerveaux femelles avance plus lentement que celle des cerveaux mâles« , précise Dena Dubal. D’après ses travaux qu’elle co-signe dans Science Advances, le responsable est le chromosome X, que les femmes possèdent typiquement en deux exemplaires, dont un est inactivé, là où les hommes ont un chromosome X et un Y. « Nous avons été stupéfaits de constater que le vieillissement activait ou réveillait ce X silencieux dans le cerveau féminin, dans une région cérébrale très importante pour l’apprentissage et la mémoire : l’hippocampe« , s’enthousiasme la chercheuse.
Une protéine en particulier est produite par le chromosome X partiellement réactivé chez les femmes âgées : PLP1. Ce composant de la myéline qui recouvre les cellules cérébrales permet à l’information de circuler à travers et dans les cellules. « Il est l’un des principaux substrats de l’apprentissage et de la mémoire« , précise Dena Dubal. En augmentant artificiellement l’activation de PLP1 dans le cerveau des souris mâles et femelles âgées, la cognition était améliorée. « Il s’agit d’un exemple clair de la manière dont la compréhension de la biologie spécifique à la femme peut conduire à de nouveaux traitements pour un cerveau féminin ou masculin. »
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Une ménopause précoce est liée à un risque plus important d’Alzheimer
Alors les cerveaux féminins sains vieillissement mieux que ceux des hommes, ils sont cependant plus touchés par la maladie d’Alzheimer, puisque deux tiers des patients sont des femmes. Si l’espérance de vie plus longue des femmes explique en partie cette disparité, la chercheuse Madeline Wood Alexander et son équipe y voient une cause biologique et, plus particulièrement, hormonale. « Une ménopause à un âge précoce semble augmenter le risque de maladie d’Alzheimer« , conclut-elle dans une autre publication qu’elle co-signe dans Science Advances.
Des études montrent d’ailleurs que le risque de développer la maladie d’Alzheimer augmente chez les femmes après la ménopause, qui survient habituellement autour de 50 ans. Dans leurs nouveaux travaux, les chercheurs étudient le cerveau post mortem de 270 femmes ayant rempli chaque année depuis leurs 70 à 80 ans des questionnaires évaluant leur cognition. Une ménopause précoce était corrélée à une plus grande dysfonction des synapses (interface de communication entre les neurones) et une augmentation dans le cerveau de la protéine tau, dont l’accumulation est typique de la maladie d’Alzheimer. « Nous avons observé que les femmes ménopausées plus tôt présentaient cette association entre un dysfonctionnement synaptique plus important et un déclin cognitif plus rapide, alors que les femmes ménopausées plus tard ne présentaient pas cette association« , résume Madeline Wood Alexander.
L’une des principales caractéristiques de la transition vers la ménopause est une baisse spectaculaire du taux d’œstrogènes, des hormones sexuelles justement impliquées dans la protection des synapses. Et de fait, chez les femmes qui ont déclaré suivre un traitement hormonal et prenaient donc des œstrogènes, les résultats étaient différents. « Il n’y avait plus de relation négative entre l’âge précoce de la ménopause et la vulnérabilité de la synapse à la protéine tau et au déclin cognitif« , rapporte Madeline Wood Alexander, qui précise que ces résultats montrent une corrélation entre l’âge de la ménopause et le risque de démence, mais ne prouve pas une relation de cause à effet.
Là aussi, cette découverte est utile à tous. « Les hormones sexuelles sont présentes chez tout le monde. Deux ou trois décennies après la ménopause, les hommes ont même plus d’œstrogènes que les femmes ! », précise la chercheuse. « D’autant que la testostérone est convertie en œstrogènes dans le cerveau, chez les hommes comme les femmes, donc tout est lié. »