Quel est le point commun entre une crème cosmétique, des biscuits apéritifs et des gouttes ophtalmiques ? Ces trois produits peuvent contenir du méthylparabène, un conservateur suspecté d’être un perturbateur endocrinien. En effet, plusieurs molécules de la famille des parabènes possèdent des propriétés chimiques capables de perturber le fonctionnement hormonal des organismes vivants. Et quel est le point commun entre un ticket de caisse et des lunettes de soleil ? Les deux sont composés de bisphénol S, un perturbateur endocrinien avéré, utilisé pour remplacer le bisphénol A, qui a été interdit progressivement en France entre 2010 et 2015.
Bisphénol S et méthylparabène : quels effets sur les enfants ?
Quels sont les effets des perturbateurs endocriniens sur notre santé ? En interagissant avec le système hormonal, ces substances sont susceptibles de perturber de nombreuses fonctions biologiques, et en particulier lors d’une période de vie sensible : le développement fœtal.
Des chercheurs de l’Inserm, du CNRS, de l’Université Grenoble Alpes (UGA), du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes et le Barcelona Institute for Global Health se sont donc réunis pour investiguer l’impact des perturbateurs endocriniens, et en particulier de ces deux molécules, le méthylparabène et le bisphénol S, sur le développement de troubles comportementaux chez les enfants. Leur étude, publiée le 10 décembre 2025 dans la revue Lancet Planetary Health, suggère en effet une association entre l’exposition prénatale à ces deux substances et l’augmentation des troubles du comportement chez les enfants.
Ces résultats se fondent sur deux cohortes : d’une part, 1.080 mères et leur enfant, recrutés par le Barcelona Institute for Global Health entre 2018 et 2021, et d’autre part, 484 mères et leur enfant, recrutés dans la région grenobloise entre 2014 et 2017. Pour évaluer l’exposition aux polluants, les chercheurs ont recueilli de 24 à 42 échantillons d’urine pour chacune des mères, au cours des deuxième et troisième trimestres de grossesse.
« C’est un réel point fort de notre étude, car les travaux précédents collectaient au maximum trois échantillons au cours de la grossesse. Cette méthodologie améliore grandement la mesure et la caractérisation des expositions aux phénols », souligne à Sciences et Avenir Claire Philippat, chercheuse à l’Inserm et co-auteur de la publication. « L’autre point fort de cette étude est la taille de la population, une des plus larges sur cette thématique ».
En plus de quantifier les doses de polluants présents dans les échantillons d’urine pendant la grossesse, cette analyse a mis en évidence la présence de méthylparabène chez la totalité des mères. Puis, un an et demi à deux ans après la naissance, les parents ont été soumis à un questionnaire d’évaluation du comportement de leur enfant, le Child Behaviour Checklist (CBCL).
Un risque élevé au troisième trimestre de grossesse
« Nous avons utilisé un questionnaire standardisé, complété par les parents, qui évalue le comportement et le bien-être émotionnel des enfants (anxiété, agressivité, déficit d’attention, plainte somatique, problème relationnel, etc). Ce n’est pas un diagnostic clinique, mais on sait que des scores plus élevés à ce questionnaire prédispose à un risque plus élevé de trouble du neurodéveloppement », nuance Claire Philippat.
L’analyse statistique de ces données a révélé que plus l’exposition au méthylparabène au troisième trimestre de grossesse était élevée, plus les scores du CBCL augmentaient. Concernant le bisphénol S, ils ont observé la même tendance, mais uniquement chez les garçons, ce qui avait également été montré avec le bisphénol A. En revanche, aucun effet cocktail, issu du mélange des différents phénols, n’a été prouvé.
Mais ce n’est pas tout : pour démontrer un potentiel lien de causalité entre la présence de perturbateurs endocriniens et l’augmentation de troubles comportementaux, les équipes de recherche ont voulu élucider les mécanismes biochimiques en jeu. Pour ce faire, ils se sont intéressés aux dérèglements hormonaux susceptibles d’influencer le comportement.
« Ce travail met en avant les limites de la réglementation qui se fait par substance »
Un suspect principal : le cortisol, l’hormone du stress, produite par l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Cet axe coordonne la communication entre le système nerveux central et le système endocrinien. Les chercheurs ont donc mesuré le taux de cortisol présent dans les cheveux des mères en fin de grossesse – la méthode la moins invasive et la plus fiable pour quantifier la présence à long terme de cette hormone. Néanmoins, les résultats obtenus n’ont pas permis de confirmer cette hypothèse pour l’instant.
« Nos résultats ne suffisent pas à écarter cette hypothèse, car il y a encore très peu d’études sur le sujet. Il est donc important de poursuivre l’investigation de cette voie biologique, qui a reçu peu d’attention en lien avec les polluants chimiques », relève Claire Philippat. « Mais il est possible que d’autres mécanismes biologiques, tels que la perturbation de l’axe thyroïdien ou œstrogénique, soient impliqués ».
Le lancement d’une étude à grande échelle, composée d’une cohorte de 100 000 personnes, devrait voir le jour en 2027, afin de continuer les recherches sur ces substances dites émergentes.
Quant aux contradictions de la réglementation, la chercheuse conclut : « Ce travail met en avant les limites de la réglementation qui se fait par substance. On a interdit l’utilisation du bisphénol A dans certaines applications, mais pas celle du bisphénol S, ni d’autres bisphénols ayant une structure chimique similaire ».
