Fourrageant dans le noir d’une petite maison de terre de l’est de la Sierra Leone, l’ecologue James Koninga extirpe de sous un lit defonce un piege a rats, appareil rudimentaire mais essentiel contre un mal mortel, la fievre de Lassa.
James Koninga, 62 ans, fait partie d’un groupe de chercheurs qui etudient la fievre de Lassa, maladie hemorragique virale endemique a plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et transmise par les rongeurs. Il en connait les effets: il y a 30 ans, le virus l’a envoye, alors jeune scientifique, a l’hopital avec fievre, diarrhee et maux de tete. Vingt jours de calvaire.
« Je me voyais partir, je me voyais mourir », dit-il.
Il y a dix ans, une autre maladie virale et hemorragique, Ebola, semait la mort et la peur en Afrique de l’Ouest. Partie de Guinee, atteignant la Sierra Leone et le Liberia, l’epidemie, la plus grave depuis la decouverte du virus en 1976, a fait plus de 11.000 morts en deux ans.
La Sierra Leone n’a plus connu de cas d’Ebola depuis 2016, en partie grace a la vaccination.
Les enseignements d’Ebola servent maintenant aux scientifiques dans cet autre combat qu’ils menent contre la fievre de Lassa, a commencer par la region de Kenema, la premiere en Sierra Leone ou Ebola fut signalee il y a une decennie.
A 1%, le taux de letalite de la fievre de Lassa est tres eloigne d’Ebola (environ 50% en moyenne selon l’Organisation mondiale de la Sante). Mais il peut atteindre 15% chez les patients atteints de formes severes.
Les chercheurs sont aux aguets du moindre signe de progression de la maladie. Le nombre de cas stagne, mais ils sont plus largement repandus sur le territoire. Il n’y a pas de vaccin reconnu, les traitements sont limites et les medecins se heurtent, comme avec Ebola, a des obstacles qui font obstruction a une prise en charge precoce, meilleure garantie de guerison.
Surveiller les rongeurs est crucial dans la region de Kenema et des villages recules comme Mapuma, ou opere aujourd’hui James Koninga parmi les habitations sous le couvert d’une foret dense.
Le virus se transmet a l’homme principalement par contact avec des aliments ou des articles menagers contamines par l’urine ou les excrements des rongeurs.
– Vie avec les rats –
« Les rats creusent leurs terriers a l’interieur des maisons » et y laissent leurs dejections, dit James Koninga, affuble d’un masque et de gants de protection.
« Que les gens reviennent de la brousse avec des plaies et s’allongent sur le lit, et ils risquent d’etre infectes ».
Proximite de la brousse, constructions en terre, stockage ouvert du grain et de l’eau… Les habitations comme celles de Mapuma sont des « hotels cinq etoiles » pour les rats, dit Lansana Kanneh, 58 ans, superviseur de terrain a l’hopital gouvernemental de Kenema (KGH).
« La nourriture est tellement rare pour les gens qu’il leur arrive de manger celle partiellement mangee par les rongeurs », dit-il.
Les poseurs de pieges peuvent capturer 20 rats par jour.
Ils s’assurent d’abord que les rongeurs sont du genre Mastomys, reservoir du virus. Ils procedent a des prelevements qui seront analyses. Les rats sont relaches apres une injection qui bloque la transmission du virus.
La fievre affecte entre 100.000 and 300.000 personnes par an en Afrique de l’Ouest et en tue environ 5.000, selon les Centres africains de controle et de prevention des maladies. Des chiffres probablement inferieurs a la realite.
Les admissions au service specialise de l’hopital de Kenema, seul centre de traitement dedie en Sierra Leone, ont diminue depuis 10 ans. Mais l’image est trompeuse.
Les malades arrivaient autrefois a la saison seche, entre novembre et mai, mais desormais, « nous voyons des cas toute l’annee », dit le Dr Donald Grant, chef du programme sur la fievre de Lassa du KGH.
– « Agir maintenant » –
Et la mortalite parmi les hospitalises a augmente de facon alarmante pour depasser 50%.
« Ils passent parfois 24 ou 48 heures a l’hopital, et puis ils meurent », rapporte Lansana Kanneh.
L’equipe observe une augmentation des cas hors des districts jadis endemiques. Le Dr Grant invoque l’expansion des activites des humains dans la foret, qui les rapproche des rats.
Detecter le mal au plus tot est vital. Or les premiers symptomes comme les poussees de fievre peuvent etre confondus avec ceux du paludisme, du cholera ou de la typhoide. L’eloignement des medecins et plusieurs heures de routes cahoteuses dissuadent de rechercher des soins.
Le souvenir d’Ebola, qui a coute la vie a environ 4.000 Sierra-Leonais, demeure pregnant.
« Les gens croyaient que c’etaient les agents de sante qui transmettaient Ebola », se souvient Lansana Kanneh.
Le docteur Grant espere un vaccin homologue dans les prochaines annees. Un vaccin est actuellement dans une phase intermediaire de tests cliniques sur plusieurs centaines de personnes au Nigeria et au Liberia.
En attendant, le medecin appelle a rester vigilant. Ebola « nous a appris qu’il ne faut pas attendre le point critique ou (l’epidemie) nous submergera tous », dit-il. « C’est maintenant qu’il faut agir ».