L’impact pourrait n’etre visible que dans « trois ou quatre ans », mais il sera devastateur: en Afghanistan, l’expulsion des femmes des ecoles medicales voulue par les autorites talibanes inquiete un secteur de la sante deja a la peine.
Dans sa clinique de Kaboul, Najmoussama Shefajo a accueilli et encadre de nombreuses jeunes diplomees qui s’etaient tournees vers des etudes d’infirmiere et de sage-femme apres avoir ete interdites d’universite il y a deux ans.
Mais la gynecologue s’alarme: comment pourra-t-elle recevoir toutes celles qui viendront bientot toquer a sa porte sans avoir termine leur formation? Et, surtout, comment fera-t-elle tourner son etablissement si plus aucune femme n’est formee?
« On pourrait ne pas voir l’impact immediatement, mais dans trois ou quatre ans, la mortalite maternelle va monter », predit-elle, alors que, deja, en Afghanistan, selon l’Unicef, 638 femmes decedent pour 100.000 naissances viables.
C’est l’un des taux les plus eleves au monde et il est « notamment du aux penuries aigues de soignants qualifies en perinatalite », assure l’agence onusienne.
« De plus en plus de bebes naitront a la maison. Qu’en sera-t-il des complications? What about operations? Il y a beaucoup de soins qu’on ne peut pas realiser dans les maisons », affirme la docteure Shefajo.
– Mortalite maternelle en hausse –
Les autorites ne l’ont pas annonce officiellement, mais plusieurs responsables du secteur ont affirme a l’AFP avoir ete informes verbalement par le ministere de la Sante que bientot plus aucune femme ne pourra suivre de formation medicale.
D’apres une source au ministere, 35.000 femmes preparent dans plus de 150 instituts prives et une dizaine d’ecoles publiques des diplomes en deux ans d’infirmiere, sage-femme, assistante dentaire, laborantine, etc.
Depuis que ces informations ont circule la semaine derniere, certains instituts ont choisi de fermer immediatement. D’autres ont organise des examens a toute vitesse, quand d’autres encore comptent rouvrir apres les vacances d’hiver comme prevu, sauf a recevoir un ordre ecrit.
Difficile de faire sans ces futures soignantes, affirme la docteure Shefajo, car « les sages-femmes et les infirmieres sont comme les ailes des medecins ». « Si un oiseau n’a pas d’ailes, il ne peut pas voler », glisse-t-elle.
Plus terre a terre, la cheffe de la mission de l’ONU en Afghanistan (Manua), Roza Otunbayeva, a declare au Conseil de securite jeudi que le projet aurait « des consequences meurtrieres pour les femmes et les filles en particulier, mais aussi pour les hommes et les garcons (…) en privant les Afghans d’un systeme sanitaire operationnel et ouvert a tous ».
Le pays, au taux de fecondite particulierement eleve, souffre deja d’une penurie de gynecologues-obstetriciens, alerte Mickael Le Paih, directeur de l’ONG Medecins sans frontieres (MSF) en Afghanistan.
Et la demande ne pourra qu’augmenter puisqu’en 2022, les autorites affirmaient que pres d’un Afghan sur deux avait moins de 15 ans.
« Vous pouvez imaginer l’impact dans plusieurs annees, lorsqu’une grande part de femmes atteindra l’age de procreer », dit M. Le Paih a l’AFP.
– « Dans une cage » –
A Kaboul, le Comite international de la Croix-Rouge (CICR) craint aussi qu’il soit « impossible d’assurer un personnel de sante assez consequent pour fournir des soins aux femmes ».
« Cela aurait des effets catastrophiques », affirme a l’AFP son porte-parole Achille Despres.
Pour Terje Magnusson Watterdal, directeur de Norwegian Afghanistan Committee (NAC), cette exclusion nuira encore davantage aux zones rurales, ou 70% de la population survit avec un acces minimal aux services de base.
Son ONG forme des etudiantes avec le ministere de la Sante. S’il espere la reouverture prochaine des ecoles, il reflechit malgre tout a redeployer ses professeures dans des cliniques pour du mentorat.
Mme Shefajo et d’autres medecins envisagent les cours en ligne. Mais comment former correctement des eleves sans exercices pratiques, s’interroge-t-elle. Et quand bien meme elle y parviendrait, ces certificats ne seraient pas valides par les autorites talibanes.
Hadiya, 22 ans, n’a plus d’espoir. Elle vient de terminer sa premiere annee de maieutique a Kaboul, apres avoir deja abandonne des etudes d’informatique puis d’anglais, tour a tour rayees des possibilites offertes aux Afghanes.
« Nous avons peut-etre des sages-femmes aujourd’hui mais la medecine change tous les jours et elles seront bientot depassees », predit la jeune Afghane. « C’est comme si on vivait dans une cage: toutes les filles reflechissent a comment aller etudier ailleurs pour atteindre leurs objectifs ».
Et de conclure: « Quand je vois la situation, je me dis qu’aucun enfant ne devrait naitre ici ».