In Ukraine, a beauty salon helps traumatized soldiers return to normal

In Ukraine, a beauty salon helps traumatized soldiers get back to normal

October 10, 2024

Quand la tondeuse parcourt la tete grisonnante d’Igor, il ferme les yeux, detendu. Il y a quelques mois encore, le bourdonnement de l’appareil etait pourtant synonyme de passage a tabac par des matons russes.

Soldat du bataillon ukrainien Kraken, Igor Chychko, 41 ans, avait ete capture le 22 mai 2022, trois mois apres le debut de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, pour n’etre libere que deux ans plus tard, en mai 2024, dans le cadre d’un echange de prisonniers.

Si la vue du rasoir rappelle a Igor sa detention, c’est que « chaque semaine, nous avions 10 minutes pour tondre les 15 personnes de notre cellule de 25m2 ».

Pour une tete mal rasee, les matons leur infligeaient des electrocutions ou des coups sur les mollets, raconte-t-il, lors d’une rencontre avec l’AFP le 29 aout.

Parmi les 3.672 detenus ukrainiens liberes, nombreux sont ceux qui, comme Igor, souffrent de troubles de stress post-traumatique.

Selon un rapport des Nations-unies de mars 2024, la pratique de la torture et des mauvais traitements infliges en Russie aux prisonniers de guerre est « generalisee et systematique », entrainant des sequelles psychologiques et physiques.

Yulia Pozanska, 33 ans (centre), coiffe un militaire ukrainien au Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) de Kiev le 29 aout 2024  (AFP - Roman PILIPEY)
Yulia Pozanska, 33 ans (centre), coiffe un militaire ukrainien au Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) de Kiev le 29 aout 2024 (AFP – Roman PILIPEY)

Mais la, assis dans un fauteuil de coiffeur, Igor sourit, profitant d’un rare moment de detente durant lequel il va oublier les « flashs » des sevices subis.

Une parenthese qu’il doit a un salon de beaute qu’organise chaque semaine le Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) ou il a ete place en convalescence durant l’ete.

Ici, des soldats brises combattent le traumatisme qui les ronge.

Cet ancien sanatorium sovietique de Kiev transforme en clinique traite une centaine de patients grace a des ateliers de relaxation et de suivi psychologique. Une goutte d’eau, alors que 9,6 millions d’Ukrainiens sont en situation de traumatisme psychologique, selon l’OMS.

« Je suis gris ».

Ciseaux en main et sourire contagieux, Ioulia Pouzanska ne compte plus les tetes qu’elle a coiffees, abimees de l’interieur par la mort trop longtemps cotoyee ou les tortures endurees. Pour elle, les soldats ne viennent pas « seulement pour la coupe de cheveux », mais surtout pour reintegrer « la normalite qui leur echappe ».

Des militaires ukrainiens sont coiffes au au Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) de Kiev le 29 aout 2024  (AFP - Roman PILIPEY)
Des militaires ukrainiens sont coiffes au au Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) de Kiev le 29 aout 2024 (AFP – Roman PILIPEY)

« Se faire coiffer, c’est se rendre compte qu’on est toujours le meme », raconte la visagiste de 33 ans.

« C’est un petit pas qui les rapproche de la vie d’avant » les traumatismes.

« Beaucoup d’entre eux ne parlent plus ou ne veulent pas parler », explique Ioulia a propos des patients nouvellement arrives, « ils ont peur de ce monde ».

En captivite, Igor a perdu 45 kilos, l’ouie et ses cheveux sont devenus plus sel que poivre. Il a surtout perdu la fibre sociale et doit reapprendre la vie en famille, se « rehabituer aux autres », dit-il sombre.

« Je suis devenu plus gris, tant a l’exterieur qu’a l’interieur ».

La faute aux sevices infliges par ses geoliers qui lui matraquait l’esprit avec la grandeur de la « Russie eternelle », predisait l’annexion de la Pologne par Moscou ou voulait voir la France en « colonie russe », poursuit l’ex-prisonnier.

Si Igor les contredisait, il prenait, nu, une pluie de coups de matraques.

« Cette coupe va bien avec la forme de votre tete », lance Ioulia guillerette, tranchant avec la lourdeur de l’ambiance.

Entre ses mains, Igor se rehabitue au contact physique, a sentir les doigts sur sa tete et sur sa nuque: « des bonnes ondes », dit-il, « j’apprends a discuter ».

Igor confie devoir reapprendre la normalite: « J’avais meme oublie comment brancher un chargeur de telephone ».

– « Je dois survivre » –

Alors que la file de patients s’allonge pour passer entre les doigts magiques de Ioulia, l’ambiance monacale s’allege et les conversations se font plus vives.

Au milieu des barbes bourrues, les yeux sont fermes et apaises malgre les neons blafards du hall et la techno crachee par des baffles bon marche.

« Dans la tranchee, on est des animaux, ici, on redevient des hommes », lance a l’AFP un des soldats traites a Lissova Poliana.

Ioulia Pouzanska coiffe un soldat et ancien prisonnier ukrainien, Igor Chychko, 41 ans, au Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) de Kiev le 29 aout 2024  (AFP - Roman PILIPEY)
Ioulia Pouzanska coiffe un soldat et ancien prisonnier ukrainien, Igor Chychko, 41 ans, au Centre de sante mentale Lissova Poliana (La Clairiere) de Kiev le 29 aout 2024 (AFP – Roman PILIPEY)

« Ils nous parlent de leur vie, car ils n’ont personne a qui le dire », explique Ioulia, « parfois certaines choses sont horribles. »

Apres la seance, sourires genes, les soldats defilent pour offrir aux coiffeurs du cafe ou des gateaux subtilises a la cantine du Centre. Autant d’offrandes qui remplacent les mots bloques dans les gorges, selon Ioulia. « Pour eux qui ont connu la faim au front, la nourriture a une grande valeur. »

Si elle se considere un peu « psychologue », la jeune femme reconnait pleinement ses limites, comme lorsqu’elle se souvient d’un jeune homme de 21 ans aux yeux eteints.

« Quand je lui ai demande ce qu’il comptait faire apres la guerre, il est reste silencieux et m’a juste repete +je dois survivre+ ».

La plupart des soldats que l’AFP a rencontre au salon de coiffure seront traites quelques semaines avant de repartir au front.

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