Sciences et Avenir : Vous vous interessez aux maladies cardiovasculaires specifiques aux femmes. En quoi sont-elles emblematiques des inegalites hommes-femmes en matiere de sante ?
Par plusieurs aspects. Premierement, il existe un biais remontant a plusieurs decennies considerant que le patient classique d’un infarctus ou d’une maladie cardiovasculaire etait l’homme stresse parce que son travail etait trop important, qu’il etait en surpoids, qu’il buvait et fumait. Mais, desormais, les femmes fument beaucoup plus qu’avant, elles cumulent plusieurs stress, celui du travail et celui de la maison, souvent plus importants que celui que subissent certains hommes. Des facteurs qui ont largement change la donne concernant les risques cardio-vasculaires.
« Chaque jour en France, 35 femmes decedent d’un cancer du sein et pres de 6 fois plus d’une maladie cardio-vasculaire ! »
Ensuite, il y a un manque de prise de conscience des femmes elles-meme sur ces risques. Venant d’une part de ce biais historique et de ce que la societe continue de vehiculer. Par exemple, il existe des campagnes de prevention tres larges sur le cancer du sein mais tres peu est fait pour les maladies cardio-vasculaires.
Read alsoLa douleur des femmes est sous-estimee par le corps medical, et ce n’est pas sans consequence
Pourtant, chaque jour en France, il meurt 35 femmes atteintes d’un cancer du sein et pres de 6 fois plus d’une maladie cardio-vasculaire ! D’ailleurs, parmi les personnes qui en sont atteintes, la mortalite des femmes a depasse celle des hommes et est desormais de 56% contre 46%.
Il n’en reste pas moins que pres d’une femme sur deux entre 18 et 25 ans estime a tort que ces maladies frappent avant tout l’autre sexe. Si la prise de conscience n’a pas eu lieu, c’est bien que l’on n’en parle pas suffisamment. De plus, ce sont des maladies silencieuses. L’hypertension apparait parfois juste avant la menopause. Or, ce n’est pas une periode durant laquelle les femmes iront verifier leur sante cardiovasculaire.
Les donnees cliniques et epidemiologiques sur le sujet sont claires. Elles montrent qu’il y a une meilleure prise en charge chez les hommes, ce qui s’est traduit par une baisse du nombre de cas. Mais rien de tel chez les femmes. Si ces vingt dernieres annees, on a beaucoup mieux compris ce qui se passe pour la sante cardiovasculaire des hommes, celle des femmes souffre encore de nombreuses inconnues alors meme qu’elles ont des troubles particuliers.
Quelles sont ces maladies cardiaques specifiques ?
Il existe des formes d’infarctus differents de la forme classique. Ce sont des patients qui ne sont pas en surpoids, n’ont pas un taux de cholesterol eleve. Ils ont une hygiene de vie tres correcte et sont jeunes. Et pourtant ils vont faire un infarctus a un moment de leur vie. Et ces cas atypiques qui sortent du cadre habituel sont en majorite des femmes. Dans notre equipe, nous travaillons sur une forme d’infarctus du myocarde specifique, la SCAD qui est une dissection spontanee de l’artere coronaire. Les femmes representent 90% des cas.
« Les symptomes chez les femmes ne correspondent pas forcement a ce qui est attendu dans l’imaginaire de l’infarctus classique »
Meme surrepresentation feminine pour une autre forme, le Minoca, une micro vascularisation cardiaque anormale. Dans ce cas, ce n’est pas la coronaire, la grosse artere du coeur, qui est en cause mais tout un tas de micro-vaisseaux. Ces formes atypique, un medecin peut passer a cote tres facilement car pour les reperer, il faut faire une imagerie au moment de l’evenement. Meme un cardiologue aux urgences peut les rater parce que la patiente sera jeune, dans la quarantaine, et que les symptomes seront differents d’un accident cardiaque classique. Il pourront s’accompagner de troubles digestifs comme des vomissements par exemple, des choses qui ne correspondent pas forcement a ce qui est attendu dans l’imaginaire de l’infarctus classique.
Est-ce qu’un suivi regulier par un medecin generaliste permet de prevenir ces incidents ?
Malheureusement, le generaliste est encore moins au fait de tout cela. Ce qu’il peut faire, au niveau prevention, c’est par exemple detecter une fatigue anormale qui durerait plusieurs semaines. Mais pour cela, encore faudrait-il que la femme aille consulter. Et une femme fatiguee, j’ai envie de dire, c’est limite la regle. Ce n’est pas suffisamment pris au serieux.
Ces maladies cardiaques sont dites « rares ». Mais, en verite, si elles sont qualifiees ainsi, c’est essentiellement qu’elles sont negligees parce que sous-diagnostiquees. Une etude retrospective francaise a par exemple regarde les dossiers concernant les infarctus du myocarde chez les femmes jeunes. Des personnes de moins de 60 ans n’ayant aucun facteur de risque flagrant tel que surpoids ou cholesterol eleve.
Read alsoL’endometriose, maladie qui touche une femme sur 10, detectee grace a un simple test salivaire
Dans ces cas-la, il existe une chance sur 3 que ces infarctus de femmes jeunes soient une SCAD, une dissection de la coronaire. Or cette maladie etait habituellement observee autour de la grossesse ou juste apres l’accouchement. Elle etait d’ailleurs nommee « l’infarctus de la femme enceinte ». Mais elle est loin de toucher uniquement cette population. C’est juste que c’est une periode durant laquelle les femmes sont suivies regulierement.
A ce propos, mon avis en tant que chercheuse est qu’on devrait s’interesser a la sante des femmes au-dela de la phase de reproduction. Tout ce qui tourne autour de la fertilite est plutot bien loti. Il y a des financements. Au-dela, beaucoup moins. Resultat, nous manquons cruellement de donnees pour ces periodes de premenopause ou de post-menopause.
Comme nous ne disposons pas d’etudes epidemiologiques concernant la sante cardiaque feminine en general, notre equipe s’est donc tournee vers l’approche genetique en collaborant notamment avec des chercheurs d’autres pays pour partager nos resultats afin de decouvrir d’autres facteurs de risque.
Cela nous permettra de mettre au jours les mecanismes sous-jacents derriere ces troubles cardio-vasculaires afin de mieux les depister et proposer une prise en charge medicamenteuse adaptee. Et surtout plus specifique. Actuellement, sont prescrits de maniere quasi automatique des statines, des medicaments pour faire baisser la cholesterolemie. Or, c’est un traitement lourd, non denue d’effets secondaires. Et etre contraint de prendre a vie des l’age de 45 ans un tel traitement, ce n’est pas la meme chose qu’a 70 ou 80…