Depuis près d’un demi-siècle, un dogme semblait couramment admis dans la communauté des biologistes. Emis par Richard Peto, un épidémiologiste et statisticien anglais, celui-ci stipulait que l’incidence du cancer n’était pas liée à la taille de l’organisme. En clair, une baleine n’avait pas nécessairement un taux de tumeurs plus élevé qu’une souris.
A première vue, ce « paradoxe de Peto » semble contre-intuitif. Le cancer étant la conséquence de cellules qui se mettent à dysfonctionner et à proliférer de façon excessive en totale anarchie, il apparaît logique que plus une espèce vivante compte de cellules, plus la probabilité que l’une d’entre elles devienne cancéreuse est élevée. Songez qu’un seul petit centimètre de différence de taille entre deux individus signifie grosso modo un milliard de cellules en plus ou en moins !
263 espèces animales passées au crible
Pourtant, Richard Peto constata en 1977, qu’à nombre de cellules équivalent, les êtres humains par exemple étaient beaucoup moins sujets au cancer que les souris. Concluant alors qu’il devait exister chez les grandes espèces animales, des mécanismes évolutifs protégeant les organismes du risque de carcinogenèse.
Mais une nouvelle étude conduite par des chercheurs de l’Université de Reading (Royaume-Uni) vient aujourd’hui démentir les conclusions de leur compatriote. Elle est publiée dans le journal PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences). L’équipe a examiné les données existantes sur le cancer de 263 espèces animales appartenant à quatre groupes distincts : 31 amphibiens, 79 oiseaux, 63 reptiles et 90 mammifères.
Read alsoLa résistance des requins face aux cancers expliquée par leur génome
L’éléphant échappe à la règle
Forts de ces nombreuses données, dont Richard Peto ne disposait pas dans les années 70, les chercheurs ont découvert que plus un animal est gros, plus la prévalence de développer une tumeur, maligne ou pas, s’avère effectivement élevée. Et ce, que l’organisme stoppe sa croissance une fois une certaine taille atteinte – comme pour les oiseaux et les mammifères -, soit, et c’est le cas des amphibiens et des reptiles, que l’animal grandisse sa vie durant.
Toutefois, l’étude a révélé des particularismes. Comme par exemple chez les espèces les plus grandes, dont l’éléphant. En dépit de sa taille et donc de son taux élevé de tumeurs, l’évolution de l’animal a favorisé le développement de mécanismes de contrôle de la croissance cellulaire et de prévention de l’apparition de tumeurs malignes. Résultat : le pachyderme possède le même risque cancéreux qu’un mammifère comme le tigre, dix fois plus petit.
Une perruche et un rat taupe se distinguent
Allant un peu plus loin dans l’analyse, les chercheurs ont comparé dans le groupe des oiseaux et des mammifères, lesquels étaient, en fonction de leurs tailles, les gagnants et les perdants de la grande course tumorale. Ils ont trouvé que, sur les 169 espèces étudiées, 28 oiseaux et 42 mammifères avaient la malchance d’avoir une prévalence de développer des cancers malins plus élevée que ce que leur taille laissait supposer. Le grand perdant étant Melopsittacus undulatus, la perruche ondulée. Bien que tout petit avec ses 30 grammes, l’oiseau a 40 fois plus de risques de développer une tumeur qu’un autre oiseau ou mammifère de même corpulence.
Et, trônant tout en haut du podium des chanceux, les chercheurs n’ont pas été surpris de retrouver le fameux rat-taupe nu (Heterocephalus glaber) pour qui il n’existe aucun exemple connu de cancer, confirmant que ce rongeur souterrain possède bien de mystérieux mécanismes de défense anti-tumorale.