“ Le vibrion cholerique, la bacterie responsable de la maladie du cholera, circule toujours activement de nos jours dans le monde. La baie du Bengale, son foyer historique, reste toujours un reservoir pour cet agent pathogene, » indique a Science and Future Francois Xavier Weill, directeur du Centre national de reference des Vibrions et du cholera a l’Institut Pasteur. En 2018, une souche inquietante fait son apparition au Yemen. Elle est resistante a deux des trois familles d’antibiotiques habituellement utilises. Reste les tetracyclines, des antibiotiques qui inhibent la synthese des proteines. Alors que l’epidemie est endiguee au Yemen, la souche multiresistante reapparait quelques annees plus tard au Liban, puis cette annee en France, sur l’ile de Mayotte. En mars, une epidemie de cholera s’y declare. Des mesures drastiques sont mises en place pour assurer des conditions sanitaires correctes et contenir l’epidemie, qui se termine en juillet. 221 cas ont ete recenses durant cette periode d’apres Sante Publique France.
Science and Future : Cette bacterie multiresistante a ete identifiee pour la premiere fois au Yemen. Comment cette souche est-elle arrivee a Mayotte ?
Francois-Xavier Weill : Cette bacterie hautement resistante aux antibiotiques a effectivement ete identifiee pour la premiere fois au Yemen dans un contexte de conflit arme prolonge qui a favorise une epidemie de cholera tres importante. L’apparition de cette souche hautement resistante a ete observee en 2018 soit deux ans apres le debut de l’epidemie. Quelques annees plus tard, elle a ete signalee au Liban, dans un contexte tout aussi complexe ou des populations deplacees et des systemes de sante satures ont facilite sa diffusion. Les conditions locales etaient ideales pour la propagation : contamination des reseaux d’eau ou manque d’eau potable, infrastructures insuffisantes, etc.
A Mayotte, cette bacterie a prolifere entre mars et juillet, dans un environnement marque par des echanges humains intenses. L’emergence de cette bacterie s’explique notamment par les flux migratoires venant des Comores et d’autres pays d’Afrique de l’Est touches par des crises sanitaires. Mayotte est une ile strategique dans l’ocean Indien, et son systeme de sante est sous une pression constante. Les cas recenses dans ces differentes regions illustrent comment cette bacterie a profite de contextes sanitaires degrades pour s’implanter et se diffuser, en particulier dans des etablissements medicaux ou les moyens de lutte sont souvent insuffisants.
« Assainir l’environnement et garantir l’hygiene des habitants »
Comment l’epidemie a-t-elle ete geree a Mayotte ?
La reponse a cette epidemie, endiguee en juillet dernier, a repose sur plusieurs etapes cles. Tout d’abord, il etait primordial d’identifier les cas avec le laboratoire du centre hospitalier de Mayotte puis de traiter les malades en les rehydratant. Il a aussi fallu identifier les foyers d’infection et casser les chaines de transmission en assurant l’acces a une eau non contaminee, le bon fonctionnement des reseaux d’eau, etc. C’est ce qu’on appelle l’approche WASH, un ensemble de mesures visant a assainir l’environnement et garantir l’hygiene des habitants. Ensuite, une strategie d’information et de formation a ete deployee aupres des professionnels de sante pour assurer une meilleure prevention et un usage rationnel des antibiotiques. Puisqu’une seule classe d’antibiotique fonctionnait, il s’agissait de reserver son utilisation pour les cas graves et de ne pas le donner a tous les habitants comme traitement preventif : essentiel pour eviter qu’elle ne developpe une resistance contre ces derniers antibiotiques. Deux types de vaccins ont egalement ete utilises.
Peut-on craindre un retour du cholera apres le passage du cyclone Chido a Mayotte?
Aujourd’hui, le risque lie a cette bacterie est faible, car il n’y a plus de cas sur l’ile, ni sur les iles proches de Mayotte depuis plusieurs mois. Les mesures mises en place ont permis d’endiguer sa propagation. Meme en cas de degradation des infrastructures due a un cyclone, cette bacterie ne devrait pas reapparaitre sauf en cas de reimportations suivies de diffusion ce qui semble peu probable du fait de l’expertise recente des personnels de sante, du fonctionnement correct du laboratoire et de la reponse actuelle de l’etat. A vigilance is still required. Le risque reside desormais dans la propagation d’autres agents pathogenes (tels les agents de la fievre typhoide, des dysenteries…) qui pourraient profiter de cette situation sanitaire degradee.
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« Identifier les cas rapidement permet d’agir avant qu’une epidemie ne soit hors de controle »
Quels sont les principaux risques lies a cette souche de cholera multiresistante ?
Il faut rappeler que les antibiotiques ne sont utilises qu’en complement de la rehydratation et essentiellement dans le but de diminuer la duree de la maladie. Les pertes digestives pouvant atteindre chaque jour plusieurs litres (dont de tres nombreuses bacteries) contribuent a la diffusion de l’epidemie. En reduisant la duree des symptomes des patients, la transmission de l’infection en sera reduite. A court terme, cette nouvelle souche va donc restreindre le traitement des patients atteints de cholera a une seule classe d’antibiotique, les tetracyclines. Les autorites sanitaires des pays qui sont ou vont etre touches par cette souche doivent donc recommander la bonne classe d’antibiotique ce qui necessite des laboratoires de bonne qualite. Sans cela le risque est de pouvoir moins bien controler la diffusion de l’infection avec comme consequence une augmentation des cas dont des cas plus graves, en particulier dans un environnement ou les structures de sante manquent deja de ressources. A long terme, la crainte est que cette souche ne developpe une resistance a cette derniere famille d’antibiotiques encore efficace. L’utilisation des tetracyclines sera donc a reserver strictement au traitement des malades et non a son utilisation preventive a large echelle, ce qui favoriserait la selection de souches resistantes. Nous n’aurions alors plus de moyens de faire face a cette maladie, qui se propage rapidement dans les regions ou les conditions sanitaires sont difficiles.
Cette crise met en lumiere plusieurs points essentiels pour la gestion future de situations similaires. La premiere lecon est l’importance d’un systeme de surveillance efficace, avec notamment des laboratoires competents. Identifier les cas rapidement permet d’agir avant qu’une epidemie ne devienne hors de controle. Une autre priorite est de renforcer les protocoles d’hygiene dans tous les etablissements de sante, pas seulement lors des crises. Par ailleurs, le cholera persiste en Asie du Sud. C’est de ce foyer persistant que proviennent les bacteries. Il y a donc urgence a lutter efficacement contre le cholera en Inde et au Bangladesh si on veut eviter les reintroductions dans d’autres pays.