Il existe plus d’une vingtaine d’échelles pour mesurer la douleur chez les bébés. Et pourtant, aucune d’entre elles ne ferait l’affaire, selon l’ONG de médecins indépendants Cochrane. Elle appelle ainsi à améliorer urgemment les outils utilisés pour prendre en charge les tout-petits.
Entre 6 et 9% des nourrissons nécessitent d’être pris en charge dans les services de soins intensifs, soit car ils sont malades, soit prématurés. Or à l’hôpital, les gestes douloureux utilisés pour les soigner sont malheureusement nombreux. Parmi les plus fréquents figurent la piqûre au talon, une méthode peu invasive pour prélever du sang et la ponction veineuse, également utilisée pour obtenir un échantillon de sang. Les injections intramusculaires, l’insertion d’une piqûre en intraveineuse, les ponctions lombaires, l’insertion d’un cathéter urinaire, d’une sonde naso-gastrique ou d’un drain thoracique pour faciliter la respiration font aussi partie du quotidien des petits patients.
Souffrir sans être soulagé
Incapables de communiquer par la parole à cet âge, il est difficile pour eux d’exprimer si un geste est trop douloureux. Pour compenser ce manque, plus de 40 échelles de la douleur ont été mises au point afin de comprendre s’ils souffrent ou non. « La détection de la douleur dépend de l’échelle utilisée mais elle se base sur plusieurs symptômes tels que les pleurs, l’irritabilité, les expressions faciales (détendu, grimaçantes, les sourcils froncés, les yeux plissés), le tonus (des mouvements détendus ou plus intenses) ainsi que des signes vitaux (le rythme cardiaque, la vitesse de respiration, la saturation en oxygène). La détection de la douleur chez les prématurés et les nourrissons qui sont très malades et sous respiration artificielle est d’autant plus difficile qu’ils ne montrent aucun signe de douleur comme les pleurs ou les expressions faciales", explains to Science and Future Emma Persad, co-autrice de l’étude et membre de Cochrane.
Dans sa nouvelle méta-analyse, l’ONG a passé en revue 79 études portant sur 7.000 nourrissons à travers 26 pays. En tout, 27 échelles de la douleur ont été évaluées. Toutes se sont montrées de mauvaise qualité, laissant fortement penser qu’elles ne sont pas efficaces et cliniquement pas applicables. Mais comment déterminer si ces échelles fonctionnent ou non, si la détection de la douleur chez les nourrissons est si compliqué en premier lieu ? Il a fallu se poser les bonnes questions. « D’un point de vue méthodologique, comment les échelles ont-elles été développées ? Est-ce qu’elles couvrent bien tous les aspects de la douleur ? Est-ce qu’elles sont fiables ? Est-ce que deux personnes obtiennent le même résultat au même moment ? Est-ce qu’une personne obtient tout le temps le même résultat à différents moments ? Est-ce que les résultats obtenus sur l’échelle sont bien applicables ?« , énumère Emma Persad.
Read alsoJusque dans les années 1970, on opérait les bébés sans anesthésie !
Un seuil de tolérance à la douleur plus bas
Les jeunes patients courent deux risques majeurs : celui de voir sa douleur sur-évaluée et de recevoir des anti-douleurs dont il n’aurait pas besoin ; et celui de voir sa douleur sous-évaluée et de souffrir sans être soulagé. Au-delà de l’inconfort subi sur le moment, ces approximations peuvent se répercuter à long terme chez les patients. « On pense que l’exposition répétée à des procédures douloureuses a des conséquences sur la perception et la réponse à la douleur. On pense aussi que des retards neurodéveloppementaux pourraient aussi être liés à l’exposition à la douleur, en plus d’altérations structurelles cérébrales. En plus de cela, les nourrissons nécessitent souvent des procédures invasives et plus fréquentes, dont on suppose qu’ils entraînent un seuil de tolérance plus bas à la douleur et les rend potentiellement plus sensibles à de futures interventions douloureuses », précise Emma Persad.
Read alsoComment les bébés ressentent-ils la douleur ?
Impossible toutefois de dire si les nourrissons sont sous-médiqués ou sur-médiqués. « C’est sans doute un mélange des deux« , tranche la co-autrice de l’étude. « Les échelles de douleur utilisées aujourd’hui ne sont méthodologiquement pas assez solides, au point qu’on ne peut pas être certain de mesurer la douleur du tout. » Une récente étude du Karolinska Institutet suggère que les nourrissons en Suède sont sous-médiqués. Les bébés les plus jeunes et les plus exposés à la douleur étaient ceux recevant le moins de morphine.
“ Mais là encore, on sait maintenant que l’échelle de la douleur utilisée n’était pas assez robuste. » Cochrane appelle les professionnels de santé à s’attacher à réduire les procédures douloureuses sur cette population vulnérable autant que faire se peut et contribuer à l’établissement d’une échelle de douleur plus rigoureuse. Ils appellent tous les volontaires du monde médical à participer via ce formulaire.