Detourner la technique du vaccin a ARN messager pour soigner des complications de la grossesse, comme la pre-eclampsie : c’est l’ambition de Kelsey Swingle. La doctorante mene ses recherches dans le laboratoire de Michael Mitchell, professeur associe en bio-ingenierie, a l’Universite de Pennsylvanie (Etats-Unis).
En decembre 2020, des cliniciens obstetriques contactent le laboratoire a propos de l’usage de therapies fondees sur l’ARN messager (utilisees dans le cadre des vaccins contre le Covid-19) pour soigner des maladies liees a la grossesse. « Nous avons realise qu’il y avait une enorme lacune dans la recherche sur l’application de ces therapies innovantes pour une utilisation pendant la grossesse, en particulier pour traiter la pre-eclampsie », precise la doctorante.
Quatre ans plus tard, l’equipe parvient a traiter des souris enceintes de la pre-eclampsie, grace a une unique injection. Ses resultats sont publies dans la revue Nature.
La pre-eclampsie, une complication incurable
La pre-eclampsie survient dans 3 a 5 % des grossesses (1 a 2% en France), et evolue vers une forme severe (appelee eclampsie) dans 10 a 20% des cas. Elle se manifeste generalement pendant la seconde partie de la grossesse, des le milieu du deuxieme trimestre (soit 20 semaines d’amenorrhee), et resulte d’un dysfonctionnement du reseau vasculaire du placenta.
Lire aussiLa pre-eclampsie, un poison pour la grossesse
L’hypertension arterielle et la presence de quantites anormales de proteines dans les urines (proteinurie) en sont les premiers signes d’alerte. Ces symptomes peuvent s’accompagner de violents maux de tete, de troubles visuels, d’Acouphenes ou de vomissements. Il est egalement possible d’observer une prise de poids importante et soudaine, et la presence d’oedemes (gonflement des pieds, des chevilles et des mains).
Des la survenue des premiers symptomes, une prise en charge est necessaire pour eviter une eclampsie : de graves convulsions liees a l’hypertension arterielle pouvant entrainer le deces de la mere et du foetus.
Pourtant, « il n’existe actuellement aucun traitement valide pour ralentir ou arreter la progression de la pre-eclampsie, explique Kelsey Swingle. La seule option curative est l’accouchement du foetus et du placenta, peu importe l’avancee de la grossesse ». L’objectif de la prise en charge est alors de surveiller et stabiliser l’etat de la femme enceinte pour repousser l’accouchement le plus loin possible afin d’assurer la survie du foetus. « Le traitement de la pre-eclampsie en clinique se concentre sur la gestion des symptomes, comme les medicaments antihypertenseurs pour controler la tension arterielle », poursuit la chercheuse.
Un traitement efficace chez la souris
« Notre medicament a pu delivrer un ARNm therapeutique qui a reduit la pression arterielle maternelle jusqu’a la fin de la gestation et a ameliore la sante du foetus et la circulation sanguine dans le placenta », explique Kelsey Swingle.
Avant d’obtenir ce resultat, l’equipe de recherche a analyse une centaine de nanoparticules lipidiques (LNP), afin de choisir la plus performante. « Les nanoparticules lipidiques (LNP) sont la meme technologie que celle utilisee dans les vaccins ARNm contre le Covid pour delivrer l’ARNm aux cellules du corps », explique Kelsey Swingle. Ces vecteurs utilises pour administrer des substances medicamenteuses dans le corps humain enrobent l’ARNm, comme une capsule protectrice, pour le mener jusqu’au placenta sans que celle-ci soit degradee. Une fois delivree, la sequence d’ARNm va ordonner la regulation de la pression arterielle, et le bon fonctionnement du placenta.
Kelsey Swingle travaille a la mise au point d’une nanoparticule lipidique permettant d’administrer un ARNm pour traiter la pre-eclampsie. University of Pennsylvania
Ses travaux montrent que le meilleur LNP pour cette tache permet de delivrer plus de 100 fois plus d’ARNm au placenta chez les souris enceintes que les formules utilisees chez les humains.
Lire aussiGrossesse : une etude inedite revele d’importants changements dans le cerveau des femmes enceintes
« J’ai combine mon amour de la science et ma passion pour la sante des femmes »
Chez la souris, une seule injection a suffi pour eviter la pre-eclampsie jusqu’au terme de la grossesse, « mais les souris ont une periode de gestation d’une vingtaine de jours. La grande question pour nous aujourd’hui est de savoir combien d’injections seront necessaires pour des animaux aux periodes gestationnelles plus proches de celle des humains, comme le cobaye ou les primates non humains », explique la doctorante.
Plusieurs annees de recherche clinique sont encore necessaires avant la mise sur le marche d’un tel traitement, mais la doctorante reste optimiste. « En travaillant sur la pre-eclampsie, j’ai combine mon amour de la science et ma passion pour la sante des femmes ». L’usage de therapies fondees sur l’ARN messager sur la base de ces recherches est en effet prometteur pour toutes les maladies liees a la grossesse.