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INTERVIEW. « Face aux traumatismes, etre plus resilient, ca s’apprend (aussi) ! »

juillet 8, 2024

Pierre Gagnepain est chercheur a l’Inserm. Il dirige l’etude REMEMBER, issue du programme « 13 novembre » qui vise a comprendre les mecanismes de controle associes a la resilience. « Notre objectif est d’etudier les variations de la reponse au traumatisme », precise-t-il a Sciences et Avenir.

Sciences et Avenir : Avant de parler de resilience, pouvez-vous nous expliquer ce qu’il se passe dans le cerveau quand on vit un evenement traumatisant ?

Pierre Gagnepain : Un traumatisme engendre une cascade de bouleversements hormonaux dans le cerveau. Face a un stress intense, les neurones, et d’autres cellules, secretent notamment des molecules d’adrenaline, une hormone qui plonge l’organisme dans un etat d’alerte car elle suractive l’amygdale. On se retrouve alors surstimules par son environnement et on est incapable de reguler ses pensees correctement. Le cerveau est envahi par des sensations, ou des stimuli externes.

« Le souvenir se cristallise et l’hippocampe, endommage, n’est plus capable de donner un contexte au souvenir. On observe alors des resurgences traumatiques »

Ces mecanismes nous protegent-ils ?

Dans une certaine mesure, oui, cette hypervigilance nous protege, elle nous permet de reagir plus rapidement. C’est pourquoi a faible dose, le stress nous rend souvent plus efficace par exemple. Mais lorsque la reponse emotionnelle est tres intense, elle a des consequences nefastes dans le cerveau. Les neurones sont affectes. Ils surstimulent differentes aires cerebrales dont l’amygdale, qui detecte les stimuli menacants, et l’hippocampe qui permet de former la memoire et de consolider les souvenirs dans le cortex.

C’est la que ca deraille : la memoire ne s’inscrit plus de la meme facon. Le souvenir se cristallise et l’hippocampe, endommage, n’est plus capable de donner un contexte au souvenir. On observe alors des resurgences traumatiques, c’est-a-dire que des souvenirs s’imposent violemment a la personne, qui a l’impression de les revivre. C’est un des symptomes du stress post-traumatique. C’est normal de se souvenir d’evenements negatifs. Cela nous permet d’adapter notre comportement. Si vous avez eu un accident de la route, il est vraisemblable que vous y pensiez longtemps en prenant le volant. Mais ca devient problematique quand vous y repensez frequemment en dehors de son contexte. Par exemple a la boulangerie, ou a la plage.

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Comment peut-on lutter contre ces effets negatifs du stress ?

Le cerveau est capable de freiner la survenue de souvenirs. Imaginez que vous soyez au travail et que vous pensiez a vos dernieres vacances. Vous etes capables de mettre ces pensees de cote pour vous concentrer a nouveau. Les resurgences traumatiques sont bien plus difficiles a ecarter mais il existe un ensemble de mecanismes permettant d’y parvenir et plus largement de compenser les effets negatifs du stress sur le cerveau et l’organisme. C’est la resilience.

Alors comment ca marche ? Quand un souvenir est encode, il est enregistre avec plusieurs elements, comme les visages, l’odeur, peut-etre une musique, etc. Quand il est rejoue dans le cerveau, toutes les regions correspondants a ces elements s’activent a nouveau. Un des mecanismes de resilience consiste donc a stopper cette reactivation. On parle de controle inhibiteur. C’est lui qui interrompt la cascade d’information associee au souvenir.

« On peut stimuler la production de nouveaux neurones en faisant du sport »

Quels sont les autres mecanismes de la resilience ?

Il y en a beaucoup, mais parmi eux, on peut parler de la signification emotionnelle. C’est-a-dire notre facon d’interpreter ce qui nous arrive, positivement ou negativement. En fait, on a la capacite de transformer le sens emotionnel qu’on donne a un souvenir. Cela fait partie des mecanismes de regulation qui peuvent reduire l’impact que cet evenement a sur nous.

La resilience fait aussi appel a d’autres rouages, neurobiologiques cette fois-ci. On sait que la production de nouveaux neurones dans l’hippocampe participe fortement a l’etablissement d’une memoire saine apres un traumatisme. On appelle ca la neurogenese. Elle permet notamment de bien separer les differentes traces mnesiques. Et la bonne nouvelle, c’est qu’on peut stimuler cette neurogenese ! Grace a l’exercice physique par exemple.

Reseau neuronal, illustration conceptuelle.

La neurogenese permet de bien separer les differentes traces mnesiques. Credits: CHRISTOPH BURGSTEDT / Science Photo Library / Science Photo Library / CBR via AFP

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La resilience, ca se travaille alors ?

Dans une certaine mesure oui. Certes, il y a des facteurs qu’on ne peut pas controler. Par exemple, on sait que la taille de l’hippocampe est liee a notre degre de resilience. Un individu dote d’un hippocampe plus grand que la moyenne a de grandes chances d’etre plus resilient !

Mais ce qui est certain, c’est que la resilience n’est pas seulement une combinaison de facteurs innes. Divers mecanismes d’adaptation vont stimuler notre resilience, ou notre vulnerabilite, au cours de la vie. Faire face a des frustrations ou des situations desagreables, a dose homeopathique si je peux dire, entraine notre resilience. Des travaux de recherche sur des etudiants demontrent notamment qu’avoir ete confrontes a des evenements negatifs accroit certains mecanismes de resilience.

Toutefois, il est evident qu’un traumatisme fragilise ! Pour mieux comprendre cette ambivalence, il faut imaginer une courbe en U inverse. A petite dose, ces situations difficiles stimulent le systeme, mais quand ces traumatismes sont severes, tout s’effondre.

Pour se donner de meilleures chances, on peut agir dessus. On a vu que l’activite physique stimule la neurogenese, pilier de la resilience. Par ailleurs, certaines therapies cognitives et les mecanismes qui permettent de reguler notre attention et nos pensees, comme la meditation, ont egalement un grand potentiel dans cet entrainement.

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