Quel est l’impact des ecrans de smartphone sur la vue et avec quelles consequences pour les generations futures ? C’est la question posee par un internaute, Renaudet Francis, sur notre page Facebook a l’occasion de la Question de la semaine. Entre suppositions et liens averes, Sciences et Avenir fait le tri.
Un lien « The tres difficile a prouver scientifiquement«
Alicia Torriglia est directrice de recherche a l’Institut national de la sante et de la recherche medicale (Inserm). Interviewee by Sciences et Avenir, elle previent que « le lien de cause a effet entre l’exposition aux ecrans et l’evolution de la vision est tres difficile a prouver scientifiquement« . « Nous manquons encore de recul pour correctement mesurer cet effet », insiste-t-elle.
Manque de moyens, de recul : face a la fameuse lumiere bleue, celle emise par les ecrans et qui fait partie de notre quotidien depuis une vingtaine d’annees, difficile de monter des protocoles experimentaux pour demontrer sa nocivite. « Il y a beaucoup de parametres a prendre en compte : qui regarde l’ecran ? A quel moment de la journee ou de la nuit ? Combien de temps ? A quelle distance ? enumere la chercheuse. On ne peut pas non plus faire n’importe quels tests, que ce soit sur les humains ou les animaux. »
Si personne ne peut encore affirmer pleinement que les ecrans sont nocifs, ni a quel point, certaines donnees incitent tout de meme a limiter notre exposition a ces derniers.
Un dereglement du rythme circadien
Les LED qui composent nos ecrans sont des diodes riches en lumiere bleue. Dans le spectre de la lumiere blanche, les longueurs d’ondes les plus faibles correspondent a cette lumiere bleue. « Les lumieres bleues sont les plus nocives pour l’oeil », met en garde Alicia Torriglia.
Mais la encore, tout depend du moment de l’exposition. Tout au long de l’evolution, la vision des mammiferes s’est developpee, de sorte qu’ils puissent voir la journee en pleine lumiere, mais aussi la nuit a la lueur de la Lune. « La retine est soumise, comme le reste du corps, au cycle circadien. Elle est plus sensible la nuit car la lumiere y est normalement plus faible », explique la chercheuse. Toutes nos fonctions biologiques sont soumises a un rythme circadien, une horloge biologique d’environ 25 heures, dont la synchronisation se fait principalement grace a la lumiere.
Scroller sur son telephone la nuit envoie de la lumiere sur notre retine, et deregle donc ce precieux cycle. « Le cerveau pense qu’il fait jour, et regule ses hormones en consequence, poursuit la chercheuse. En plus de diminuer la qualite du sommeil et de la vigilance, un dereglement du cycle circadien peut etre lie a des pathologies generales connues, comme des maladies cardio-vasculaires, du diabete, des cancers, etc. »
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Des risques de myopies et de DMLA precoces ?
Dans un article paru en octobre 2021, nous faisions mention des risques de DMLA precoce lies a l’exposition a la lumiere bleue. La DMLA, ou degenerescence maculaire liee a l’age, est une perte de vision au centre de la retine. Elle produit comme une tache noire au milieu du champ de vision. Si la DMLA est une maladie de personnes agees, c’est bien des l’enfance que se joue le destin de notre oeil. Nos yeux sont en effet proteges par le cristallin qui filtre une partie de la lumiere bleue grace a la teinte jaune qu’il acquiert avec l’age. Mais les enfants ont un cristallin transparent, et donc vulnerable.
On sait que les personnes tres exposees a la lumiere du Soleil durant l’enfance font des DMLA plus jeunes que les autres. Pourquoi ? Car le Soleil est lui aussi un emetteur de lumiere bleue. En fait, tout comme notre peau a un « capital Soleil », nos yeux ont un « capital lumiere » et a force de les exposer, on grignote petit a petit ce capital. Surtout lorsqu’il s’agit de lumiere bleue, puisque c’est la plus energetique de toutes, devant la verte, la rouge ou la jaune. La lumiere bleue emise par les LED a-t-elle le meme effet qu’une forte exposition au Soleil ? Pour l’instant, il n’y a aucune certitude : il faudra attendre 20 a 30 ans, que les enfants qui ont grandi devant les ecrans vieillissent.
Pour la myopie, les risques sont plus averes. « Il n’y a pas une preuve incontestable, mais un faisceau de preuves », remarque Alicia Torriglia. Au niveau mondial, on compte desormais davantage d’individus myopes que d’individus disposant d’une vision sans aucun trouble, en particulier chez les jeunes generations. La situation est deja tres preoccupante en Asie du Sud-Est, particulierement en Coree du Sud ou jusqu’a 73% des 12-18 ans sont atteints de myopie, selon une etude. En France, les tendances sont aussi a la hausse, avec environ un tiers de la population generale (contre 20 % dans les annees 1970) concerne et 42% des 10-19 ans.
Des experimentations ont ete faites sur des animaux diurnes dotes, comme les humains, de retines a cones et batonnets. « Pour simplifier, les resultats montrent qu’ils deviennent plus myopes avec une exposition a la lumiere bleue, et plus hypermetropes face a la lumiere rouge », expose la chercheuse. Mais la encore, il y a des limites a ces experiences, dont les resultats ne sont pas toujours transposables a l’humain.
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Les filtres anti-lumiere bleue inefficaces ?
Dans un article d’aout 2023, nous ecrivions que les lunettes et les verres traites pour filtrer la lumiere bleue emise par les ecrans n’ont pas une grande utilite. Les opticiens et les compagnies qui vendent ces lunettes anti-reflets bleus promettent de reduire jusqu’a 40% de la lumiere bleue percue par les yeux devant un ecran. « Les verres de ces lunettes contiennent souvent un chromophore [un film chromatique, ndlr] qui reduit la quantite de lumiere bleue qui atteint l’oeil. Une autre approche consiste a revetir les surfaces arriere et avant de la lentille d’un revetement interferentiel anti-reflet qui diminue selectivement la transmission d’une partie du spectre de la lumiere bleue », explique la specialiste.
Mais ces lunettes ne filtrent que 10 a 25% de la lumiere bleue. Une correction « minime » pour Alicia Torriglia, qui estime cependant que « le vrai probleme avec ces lunettes, c’est que les gens se sentent proteges donc qu’ils s’exposent davantage ». « C’est comme avec la creme solaire », illustre-t-elle.
Pour avoir de plus amples reponses, du temps est necessaire. Il offrira aux chercheurs le recul requis pour evaluer les effets de notre exposition aux ecrans. « C’est comme pour toutes les questions de sante publique sur des phenomenes quelconques : il faut attendre d’avoir des preuves irrefutables pour reglementer et donner des recommandations », regrette la chercheuse.
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