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Notre cerveau divise la journee en « chapitres »

octobre 4, 2024

Sortir d’un immeuble et se mettre a marcher dans la rue… pour le cerveau, c’est un tout nouveau chapitre qui s’amorce ! Ce changement de decor provoque une modification radicale de l’activite cerebrale, mesurable par les scientifiques. Mais la segmentation des souvenirs est loin d’etre passive ; elle ne depend pas seulement des lieux que vous arpentez. Une nouvelle etude americaine montre que les experiences passees et les priorites individuelles influencent le decoupage de ces « chapitres ».

« Nos resultats montrent que nous avons le controle sur la maniere dont nous organisons les souvenirs des experiences vecues », analyse Christopher Baldassano, co-auteur de l’etude, lors d’une interview pour Sciences et Avenir. L’etude, dont l’autrice principale est Alexandra De Soares, a ete publiee dans la revue Current Biology.

La longueur des chapitres etablis par le cerveau varie

Depuis 2017, les scientifiques sont capables d’observer ces changements de chapitres en temps reel dans le cerveau d’un individu. Une etude anterieure de Christopher Baldassano revelait alors que cette fragmentation etait detectee dans l’ensemble du cerveau, a plusieurs niveaux. La longueur de ces chapitres variant considerablement selon l’aire cerebrale etudiee. Elle dure quelques millisecondes dans les parties du cerveau etroitement liees aux informations sensorielles a des centaines de secondes dans les parties du cerveau ou se deroule la pensee d’ordre superieur.

L’equipe de Christopher Baldassano fait alors une nouvelle decouverte : ces imbrications sont a la base de la memoire a long terme. En effet, a chaque nouvelle delimitation, l’hippocampe, aire cerebrale intimement liee a la memoire, montre un pic d’activite.

Mais un mystere restait entier : qu’est-ce qui pousse le cerveau a former une limite autour d’un evenement rencontre ? Les chercheurs levent le voile sur les declencheurs de ces chapitres dans une nouvelle etude. « Les changements de lieux, telle que l’entree dans un cafe par exemple, ne sont pas les seuls elements a initier un nouvel episode dans notre cerveau. L’aspect social rentre aussi en jeu », devoile Pierre Gagnepain, chercheur exterieur a l’etude, pour Sciences et Avenir.

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L’hippocampe est une bibliotheque de souvenirs

Les participants de l’etude ont ecoute differents recits audio de quelques minutes mettant en scene deux personnages dans un lieu donne : un restaurant, un aeroport, une epicerie ou une salle de conference. Chaque audio traitait d’une situation sociale differente : une rupture, une demande en mariage, un accord commercial et une rencontre amoureuse. Pendant l’ecoute, les chercheurs ont examine les donnees IRM du cerveau des participants afin de detecter les changements d’activite cerebrale marquant le debut des nouveaux chapitres.

En particulier, ils ont observe une aire cerebrale qui joue un role complexe dans la recuperation de la memoire : le cortex prefrontal median. « Il est implique dans la creation et la recuperation strategiques des souvenirs qui sont les plus pertinents et les plus utiles dans un contexte particulier », Christopher Baldassano. Mais comment fonctionne la memoire ?

En bref, les souvenirs d’evenements passes particuliers (memoire episodique) seraient principalement stockes dans une autre region du cerveau, l’hippocampe, qui est comme une bibliotheque. Dans le dessin anime Vice-Versa, il est symbolise par de grandes etageres sur lesquelles sont soigneusement ranges les souvenirs. « Le cortex prefrontal median, lui, s’apparente davantage a un bibliothecaire, qui s’efforce de veiller a ce que les souvenirs soient organises de maniere pertinente et peut vous aider a trouver un souvenir specifique que vous recherchez », ajoute le chercheur.

Visualiser la segmentation des souvenirs

Grace a un outil mathematique, developpe en 2017 par Christopher Baldassano, les scientifiques peuvent identifier des changements soudains de l’activite cerebrale dans differentes regions, indiquant le moment ou un segment se termine et ou un autre commence. « Un evenement entraine un pattern cerebral dans differentes regions du cerveau. Il correspond au fait que dans cette aire cerebrale, il y a des zones plus ou moins activees », indique Pierre Gagnepain.

Ces nuances sont visibles grace a des pixels 3D, appeles voxels. « Ces patterns sont assez stables durant un evenement donne et quand l’experience prend une autre tournure, la distribution de l’activite est modifiee, ce qui aboutit a un nouveau pattern », ajoute-t-il. Des que le cerveau entame un nouveau chapitre, la distribution des voxels est modifiee et donc visible sur grace a l’IRM.

A titre d’exemple, dans leur premiere etude, ils avaient pu observer le gyrus angulaire, une autre region, notamment liee au langage. Dans cette video, l’activite cerebrale des participants avait ete enregistree pendant qu’ils regardaient une serie. La vitesse de l’enregistrement est 35 fois superieure a la vitesse reelle. A droite, le point mobile, representant l’activite cerebrale, se deplace rapidement parmi neuf etats « reperes » prealablement definis, du gyrus angulaire. Les points de la meme couleur appartiennent au meme « chapitre ».

Dans leur nouvelle etude, ils ont analyse l’activite du cortex prefrontal median de la meme maniere. « Pendant l’ecoute des recits audio, ses modulations nous ont indique l’ouverture d’un nouveau chapitre dans le cerveau », simplifie Christopher Baldassano.

« Le cerveau organise en fait activement nos experiences de vie en morceaux qui ont du sens pour nous »

Leurs resultats prouvent que la facon dont le cerveau divise un souvenir depend de ce a quoi la personne prete attention et de la perspective. « Lorsqu’on ecoute une histoire sur une demande en mariage dans un restaurant, par exemple, notre cortex prefrontal organise generalement l’histoire en evenements lies a la demande en mariage, menant (esperons-le) au << oui >> final », retracent les auteurs.

Mais ce n’est pas leur seule decouverte. Il est possible d’influencer ce decoupage… En demandant aux participants de se concentrer sur la commande des plats du couple dinant au restaurant, par exemple, de nouveaux chapitres tout a fait differents se sont formes, suivant les etapes de la commande. Et cela fonctionnait aussi pour les autres scenarios : « une personne qui entendait l’histoire d’une rupture dans un aeroport pouvait, si on lui demandait de preter attention aux details de l’experience aeroportuaire, enregistrer de nouveaux chapitres en passant la securite et en arrivant a sa porte d’embarquement », indiquent les chercheurs. « Le cerveau organise en fait activement nos experiences de vie en morceaux qui ont du sens pour nous. » Mais a quoi sert cette segmentation ?

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Pourquoi le cerveau segmente les souvenirs ?

Ces chapitres servent de point d’acces a la memoire, un peu comme le bouton qui permet de sauter un chapitre sur un DVD. On peut trouver des informations dans la memoire en reperant d’abord le bon chapitre pour acceder aux souvenirs detailles. « Il y a une sorte de hierarchie des elements du souvenir, comme un echafaudage, qui permet d’acceder a des details de plus en plus precis », eclaire Pierre Gagnepain. L’organisation des souvenirs en chapitres significatifs permet egalement d’eviter les interferences car elle s’assure que des informations provenant d’evenements sans rapport entre eux ne sont pas melangees.

« L’une des principales conclusions de cette etude est que le cerveau ne se contente pas d’enregistrer passivement les evenements du monde comme un magnetoscope. La maniere dont les experiences sont organisees en memoire depend de notre attention, de nos objectifs et de nos connaissances,Christopher Baldassano concluded. Avec son equipe, il travaille desormais sur les effets d’un decalage entre les attentes et l’experience reelle, « par exemple si le serveur jette un verre d’eau au visage d’un client. Quel est l’impact de ce decalage sur l’organisation de ces experiences dans la memoire ? « , ouvre-t-il.

Le cerveau emet constamment des predictions sur ce qui va se produire. Il s’appuie sur des schemas classiques en quelque sorte. Par exemple, quand on entre dans un restaurant, on s’attend a ce que le serveur s’approche de la table, et tende un menu. « Ces predictions ont une fonction tres importante : elles permettent de diminuer la surprise. Le risque d’erreur est moindre, et le fonctionnement efficace », souligne Pierre Gagnepain. Elles jouent un role important non seulement pour comprendre ce qui nous arrive mais aussi pour former des souvenirs et les recuperer. L’influence de ce decoupage des souvenirs sur l’efficacite de la memoire est un autre volet des prochains travaux des chercheurs.

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