Quels animaux les humains craignent-ils le plus et pourquoi cette réaction ? Pour répondre à ces questions et ainsi mieux cerner la biophobie (la peur des animaux), des chercheurs français ont conduit une étude en ligne auprès de plus de 17.000 participants venant de tous les continents.
Le protocole était simple et efficace : des photos d’animaux s’affichaient et ils devaient choisir celui qu’ils craignent le plus. De cette façon, Karl Zeller du laboratoire Éco-Anthropologie (CNRS/MNHN) et ses collègues ont été capables de classer 184 espèces de mammifères, de reptiles, d’oiseaux, d’arthropodes et d’amphibiens sur une « échelle de la peur ». Leur étude, publiée le 10 mars 2025 dans la revue People and Nature, révèle des craintes justifiées mais aussi d’autres, plus irrationnelles, signes d’une déconnexion avec la nature. Entretien avec Karl Zeller.
Sciences et Avenir : Pourquoi est-ce important de mieux comprendre la biophobie ?
Karl Zeller : Mieux comprendre la biophobie, c’est mieux comprendre les perceptions humaines négatives à l’égard de la nature, la faune et la flore, leur origine, comment elles se développent et persistent. Il s’agit de quelque chose d’important car, par nature, elles sont extrêmes et peuvent induire des problèmes de santé, des troubles de l’anxiété.
Ensuite, les espèces qui induisent généralement ces émotions fortes et négatives (peur, dégoût, aversion) sont mal-aimées et peuvent être moins bien protégées que les espèces charismatiques. Mieux comprendre la biophobie permet donc de discuter de notre rapport au monde, à la nature, à la faune et la flore.
« La phobie est une peur exacerbée, irrationnelle et invalidante »
D’un point de vue évolutif, qu’est-ce qu’apporte cette peur lorsqu’elle est correctement dirigée ?
Par définition, la biophobie ne peut pas être correctement dirigée. La phobie est une peur exacerbée, irrationnelle et invalidante. Il ne s’agit pas d’une crainte adéquate qui permet d’échapper à des menaces et de rester en vie. Elle traduit surtout une aversion grandissante et une déconnexion de la société par rapport à la nature.
Dans votre étude, vous indiquez que les photos d’animaux dangereux suscitent un sentiment de peur fréquent et rapide. Mais vous expliquez aussi que des animaux inoffensifs atteignent également des niveaux de peur élevés. Comment expliquer ce résultat ?
La peur des animaux inoffensifs est irrationnelle, elle ne peut pas s’expliquer évolutivement. Il faut donc trouver une autre explication. Par exemple, les participants qui avaient peur des araignées indiquaient craindre d’être blessés, tués, voire mangés ! Cela illustre bien l’absurdité de cette peur.
Ces résultats découlent d’une méconnaissance des animaux souvent alimentée par les médias, les films couplés à une déconnexion grandissante avec le milieu naturel. Ces peurs s’ancrent et deviennent des réalités, notamment chez les enfants. Ces représentations erronées de la nature se transmettent ensuite de génération en génération. Et comme il n’y a aucune confrontation avec une réalité écologique, comme des rencontres avec des animaux dans leur habitat naturel, il n’y a pas de changement.
Dans cette étude, on remarque une crainte irrationnelle pour certaines araignées ou serpents non venimeux mais on peut voir aussi le phénomène inverse. Des peurs qui pourraient être rationnelles sur des animaux dangereux tels que les lions ou les tigres deviennent empreintes de croyances socio-culturelles, pensez à Simba du Roi Lion. Des peurs justifiées évolutivement peuvent aussi être influencées et faiblir de cette façon.
« Il existe des signaux de danger reconnaissables tout de suite »
D’après vos résultats, les animaux les plus craints méritaient-ils leur place ?
Oui, tout de même. Des millions d’années d’évolution nous ont amenés à développer des capacités permettant de reconnaître des caractéristiques liées à des animaux dangereux. Il existe des signaux de danger reconnaissables tout de suite, des formes géométriques ou encore des couleurs vives. Beaucoup d’animaux et même les enfants ont tendance à éviter les formes triangulaires et les couleurs éclatantes !