Cette année, la science célèbre les 100 ans de la découverte du crâne de “l’enfant de Taung”, retrouvé dans une carrière en Afrique du Sud en 1924 et décrit en 1925 par l’anthropologue australien Raymond A. Dart. Le fossile du jeune enfant est à ce moment-là le premier témoin d’une nouvelle espèce, Australopithecus africanus, constituant une étape importante de la paléontologie.
Depuis sa découverte, les innovations méthodologiques permettent de nouvelles approches, comme l’emploi de la tomographie à rayons X qui a été présenté lors de la soirée inaugurale de la Semaine du Cerveau lundi 3 mars 2025 à l’Hôtel de Ville de Paris. Cette manifestation mondiale, de retour pour la 27e édition, est l’occasion de rappeler les méthodes et les recherches qui gravitent autour de cet organe fascinant.
La microtomographie pour étudier les cerveaux disparus
Le cerveau, étant un tissu mou, ne se fossilise généralement pas. Mais le cerveau et la boîte crânienne croissent au cours de la vie d’un individu de manière très intimement liée, de sorte que, dans certains groupes et particulièrement chez les mammifères, le cerveau va laisser son empreinte à l’intérieur de la boîte crânienne. Les paléontologues s’appuient sur celle-ci, assez fidèle, pour reconstituer la forme et la structure du cerveau des animaux disparus appelés les endocrânes.
Les endocrânes peuvent être naturels, lorsque le crâne se remplit de sédiments qui se solidifient avec le temps, formant un moulage interne de la boîte crânienne à partir de la surface externe du cerveau. Les endocrânes artificiels, quant à eux, sont réalisés par les chercheurs et chercheuses lorsque la boîte crânienne est libre de tout sédiment. Ces méthodes étant destructives, les neuropaléontologues utilisent désormais la microtomographie à rayons X.
En scannant le crâne, ils recomposent un moulage virtuel du cerveau. Le processus, semblable à l’imagerie médicale en milieu hospitalier, implique une source de rayons X, un détecteur, et la rotation du fossile. Le scanner prend des mesures de densité à 360 degrés autour du fossile, qui sont ensuite utilisées pour créer des coupes virtuelles. Chacune d’elles représente la densité du matériau à un point donné. En assemblant ces coupes, on obtient un modèle 3D de la surface interne de la boîte crânienne qui a la même forme que la surface externe du cerveau.
Trois modèles 3D d’endocrânes (en bleu) d’Australopithecus d’Afrique du Sud issus de la microtomographie. Crédits : Beaudet, A., de Jager, E., Tawane, M., & Billings, B.
« L’enfant de Taung » fait encore parler de lui
La découverte de « l’enfant de Taung » a bouleversé la paléontologie. Alors que l’os du crâne a disparu, c’est l’endocrâne naturel qui a été retrouvé. À cette époque, c’est le plus vieux jamais retrouvé pour la lignée humaine, la première preuve tangible de ses origines africaines et le spécimen type d’un nouveau genre et d’une nouvelle espèce d’hominidés nommée Australopithecus africanus.
D’une grande qualité, il conserve des détails fins de l’organisation cérébrale, comme les sillons, et a ouvert des débats majeurs sur la façon dont le cerveau humain a évolué. « On pouvait bien voir l’intérieur d’autres fossiles, mais là, puisque la voûte n’était pas conservée, les discussions se sont focalisées sur ce qui était bien présent, l’endocrâne », relate auprès de Sciences et Avenir Antoine Balzeau, chercheur au laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN-CNRS).
La Semaine du Cerveau est de retour
La 27e édition de la Semaine du Cerveau se déroule du 10 au 16 mars 2025. Cette manifestation emblématique du lien entre science et société est présente dans plus de 120 villes en France Métropolitaine et Martinique, et 50 pays. Pilotée dans l’Hexagone par la Société des Neurosciences, elle vise à partager les connaissances scientifiques sur le cerveau, et expliquer les enjeux et les avancées de la recherche au grand public. Conférences, expositions, ciné-débat… Plus de 600 événements entièrement gratuits et accessibles à tous sont proposés chaque année.
Un siècle plus tard, cet endocrâne conserve encore des secrets, notamment sur la position d’un sillon délimitant le cortex visuel primaire, élément clé pour retracer l’histoire évolutive de la lignée humaine. “Encore aujourd’hui, aucune étude n’a pu trancher la question et beaucoup de scientifiques estiment qu’il est impossible d’identifier avec certitude la structure en question”, ajoute la paléoanthropologue Amélie Beaudet, chercheuse CNRS au sein du laboratoire PALEVOPRIM à l’Université de Poitiers.
« L’enfant de Taung » maintient le débat sur la fiabilité de l’endocrâne. “Il faut être prudent dans les déterminations anatomiques, de nombreuses erreurs ont été faites”, alerte le paléoanthropologue. Une étude publiée en novembre 2023 dans le Journal of Anatomy explore les limites de l’analyse de la forme et de l’organisation de l’endocrâne. Antoine Balzeau, auteur principal de l’étude, donnera le 12 mars 2025 une conférence au Musée de l’Homme dans le cadre de la Semaine du Cerveau pour discuter de ces sujets.
Si l’endocrâne est à ce jour le meilleur moyen d’étudier les cerveaux disparus, “il faut continuer d’améliorer notre connaissance du lien entre cerveau et endocrâne pour ne pas raconter trop de bêtises”. Un point de vue souligné par Amélie Beaudet dans un article paru en février 2025 dans la revue South African Journal of Science et durant la conférence inaugurale de la Semaine du Cerveau 2025.