En avril 2024, les députés approuvaient en première lecture une proposition de loi rédigée par le député écologiste d’une circonscription girondine, Nicolas Thierry, visant à restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS ou « polluants éternels« . Le texte est soumis le 20 février prochain pour un vote final après maintes étapes, dont une dissolution qui a mis à l’arrêt le processus de va-et-vient entre Assemblée nationale et Sénat. Si ce texte est enfin adopté, sans modification, il fournirait selon son auteur et rapporteur, la « réglementation la plus ambitieuse sur les polluants éternels ».
PFAS, prise de conscience de l’ampleur de la pollution
Les PFAS sont des molécules chimiques entièrement synthétiques et aux propriétés multiples se comptent en dizaine de milliers. Elles sont utilisées sous forme de traitement et de revêtements pour d’autres matériaux visant à les rendre résistants à l’eau, le feu, la lumière, les graisses, les acides, les bactéries… Une enquête sur les impacts sanitaires dans la Vallée de la chimie lyonnaise diffusée dans l’émission Envoyé spécial en mai 2022 lève pour la première fois le voile sur les pollutions autour des usines Arkema et Daikin, fabricants de PFAS.
Les riverains et l’opinion publique prennent soudain conscience du risque : ces « polluants éternels » sont persistants dans l’environnement et ont un effet délétère pour nos organismes. Le lien entre ces PFAS et la prévalence de certains cancers ne cesse de se renforcer. Toutefois, une seule de ces molécules, le PFOA est classé comme « cancérigène pour l’homme » par le Centre International de la Recherche sur le Cancer (OMS) pour le moment. Toute la population française est imprégnée à des degrés différents de ces composés fluorés.
L’agenda d’une loi « pour couper le robinet de la pollution »
Le 20 février prochain, la loi « visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées » revient à l’Assemblée nationale, avec l’espoir pour ceux qui la portent, parlementaires, collectifs de citoyens, ONG et scientifiques, qu’elle n’y essuie aucun amendement. Cette proposition de loi est « une des réglementations les plus ambitieuses sur les PFAS ». « L’enjeu véritable », insiste Nicolas Thierry, « est de faire adopter le 20 février, un texte selon la version approuvée en mai par le Sénat. Les opposants peuvent déposer des amendements en guise de stratégie d’enlisement. Une légère modification de cette loi, même à la marge, reviendra à la condamner pour une durée indéterminée ». On garde en mémoire les casserolades menées par les employés du fabricant SEB à quelques pas de l’Assemblée nationale et les discussions des parlementaires en avril dernier qui avaient pesé dans le retrait des ustensiles de cuisine du texte de loi.
Le texte passe par une procédure accélérée avec une date limite de dépôt des amendements fixée à ce samedi 8 février à 17h avant d’être présenté à nouveau dans l’hémicycle. Pour rappel, le texte entamait son parcours parlementaire auprès du Sénat en mai 2024 quand a eu lieu la dissolution du gouvernement, provoquant l’inquiétude des associations environnementales et des collectifs de citoyens-riverains.
Que contient la proposition de loi ?
Le texte de la loi a été affaiblie au cours des différentes lectures, mais reste une avancée décisive, explique le député lors de la conférence de presse organisée à l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer, le 4 février 2025.
- L’interdiction vise non pas quelques molécules mais l’ensemble de la famille des PFAS.
- Le texte rend obligatoire la détection de ces PFAS dans l’eau potable sur tout le territoire national. A partir du 1er janvier 2026, chaque Etat membre de l’Union européenne devra mesurer 20 substances perfluorées dans son eau potable. Les services de l’Etat ne français ne seront pas limités à cette vingtaine de composés. Ils pourront préconiser la recherche d’autres molécules en fonction des sites et de la nature de leurs activités industrielles.
- Le texte préfère cibler par usages essentiels et non essentiels afin de laisser le temps aux industriels d’adapter leurs procédés de fabrication pour des objets manufacturés qui requiert les avantages apportés pour l’instant par des PFAS : dispositifs médicaux, textiles techniques, semi-conducteurs, lubrifiants industriels, réfrigérants…
Les employés, dirigeants et syndicalistes de TEFAL appartenant au groupe SEB le 18 avril 2024 sur la Place des Invalides, à quelques mètres de l’Assemblée nationale. La proposition de loi anti-PFAS vise les ustensiles de cuisine à revêtement anti-adhésif. Crédit Alain Jocard/AFP
- Le lobbying de l’industriel SEB avait permis le retrait des ustensiles de cuisine mais le texte de loi conserve des interdictions pour une série d’objets, de quoi réduire le risque sanitaire pour un large public : vêtements du quotidien, chaussures, produits de farting pour les skis. S’y ajoutent les cosmétiques se comportant en perturbateurs endocriniens -« un effet dévastateur » – chez des femmes de plus en plus jeunes, et en pleine puberté.
- Le financement de la dépollution des lieux ne sera pas sous la seule responsabilité des collectivités territoriales, l’Etat accompagnera celles-ci de ses politiques publiques.
- Les producteurs de PFAS devront payer une redevance chaque fois qu’ils les rejettent dans l’environnement, le montant est fixé à 100 euros par 100 grammes et à partir d’un seuil de 100 grammes rejetés. Des valeurs relativement faibles, reconnaît le député girondin, mais « il s’agit de cranter le principe dans la loi, de manière à pouvoir moduler ces montants par la suite ».
Un PFAS à chaîne moléculaire ultra-courte n’est pas oublié par la loi à voter
Absent des listes établies par les agences européennes, le TFA, l’acide trifluoroacétique, commence à inquiéter. Sa présence dans l’eau potable a été mise en évidence en janvier 2025 à des teneurs inattendues dans plusieurs villes françaises. Cette molécule ne figure pourtant pas dans la liste des 20 PFAS que les Etats européens s’apprêtent à rechercher dans leur eau potable, nous le répétons, à partir du 1er janvier 2026. L’acide trifluoroacétique donnera également du fil à retordre pour les unités d’assainissement de l’eau : les procédés classiques telles que le charbon actif ou la filtration sur membrane ne le retiennent pas.
Il faudrait, suggèrent certains, recourir à un procédé plus coûteux pour s’en débarrasser : l’osmose inverse. Ce PFAS à chaîne ultra-courte est à la fois matière première entrant dans la fabrication d’autres PFAS et produit de désagrégation finale de ceux-ci dans l’environnement. Il est omniprésent, et en quantité supérieure aux autres PFAS dits « historiques ».
Des bénévoles de l’ONG Générations futures font des prélèvements d’eau à Salindres, dans le Gard, à proximité du site de l’industriel chimique Solvay, fabricant de PFAS, le 18 avril 2024- Crédit Pascal Guyot/AFP
Quels chantiers à venir pour réduire l’exposition de la population aux PFAS ?
Après l’adoption de la loi, il faudra selon le député se focaliser sur les sites de pollution historiques et la protection des salariés sous-traitants de l’industrie chimique. Les rejets aqueux retiennent pour l’instant toute l’attention, mais les rejets aériens sont un autre sujet d’inquiétude. Reste également au gouvernement la tâche de dessiner une trajectoire de fin de rejet des PFAS sur 5 ans.
Le député de la Gironde est inquiet de constater une certaine « porosité entre les lobbies industriels et les responsables politiques, lesquels écoutent sans aucune distance et au détriment de la santé publique le plaidoyer des industriels. Nous avons besoin de renouveler les règles qui régissent les liens entre les élus, les ministres et les lobbies ; le premier lobby de France devrait être celui de la santé des Français ».