« La santé des femmes est sous-étudiée. La grossesse impose une charge importante à l’organisme et nous nous sommes demandé comment la physiologie s’adaptait à cette charge« , explique Uri Alon, qui a dirigé de nouveaux travaux d’une ampleur inédite sur la grossesse et publiés dans la revue Science Advances. Les données de plus de 300.000 femmes en Israël depuis 22 semaines avant leur grossesse à 80 semaines après leur accouchement ont permis aux chercheurs d’accumuler des statistiques globales du déroulé d’une grossesse et de ses éventuelles complications. « Nos données couvrent la moitié de la population israélienne âgée de plus de 20 ans, tous dossiers médicaux confondus, sur les 76 tests de laboratoire les plus courants« , explique Uri Alon.
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« La gestation humaine est un domaine de recherche peu exploré, en partie parce qu’elle est difficile à étudier pour des raisons à la fois éthiques et pratiques« , commente Michelle Oyen, experte en ingénierie biomédicale qui n’a pas participé à ces travaux, dans un commentaire publié dans la même revue. Pendant la grossesse, les besoins du fœtus modifient profondément la physiologie maternelle au niveau des systèmes cardiovasculaire, respiratoire, rénal, gastro-intestinal, squelettique, métabolique, endocrinien et immunitaire, énumèrent les chercheurs. Des connaissances que, de façon plutôt rassurante, la majorité des résultats de l’étude confirme. « La physiologie de la mère change dans tous les systèmes possibles. Plus de lipides sanguins, le volume sanguin augmente de 50%, le taux de filtration rénale augmente, etc.« , illustre Uri Alon.
La moitié des indicateurs mettent au moins dix semaines à revenir à la normale après accouchement
Mais quelques surprises émergent. « Après l’accouchement, il faut un an pour que de nombreux tests reviennent à leur niveau de base, et non six semaines comme on le pensait généralement« , révèle Uri Alon. L’accouchement marque un changement profond car le fœtus et le placenta cessent brusquement leurs effets métaboliques et endocriniens.
Si 47% des indicateurs reviennent à la normale après le premier mois post accouchement et 12% dans les deux semaines qui suivent, 41% des valeurs mesurées mettent dix semaines après la naissance pour revenir à leur état de base. Certaines mettent jusqu’à un an, voire ne reviennent jamais à leur état d’origine. Les fonctions hépatiques mettent ainsi six mois à se remettre au vu des niveaux d’enzymes transaminases ASAT et ALAT, toutes deux produites par le foie. La quantité de phosphatase alcaline (PAL) indicative de la santé hépatique et osseuse ainsi que le taux de cholestérol, mettent en revanche un an à se stabiliser. « Ces différences pourraient résulter de changements comportementaux post-partum (comme l’allaitement et les hormones qui la sous-tendent, ndlr) ou d’effets physiologiques durables de la grossesse (comme la prise de poids et donc l’IMC, ndlr) », avancent les chercheurs.
Des taux qui restent anormaux même un an et demi après l’accouchement
Enfin, certaines valeurs ne sont toujours pas revenues à leur taux originel après 80 semaines (environ un an et demi). Parmi elles se trouvent le taux de protéine réactive au complément (CRP), marqueur d’inflammation dont la quantité reste élevée. De même, les marqueurs d’anémie comme le taux de fer et d’hémoglobine (TCMH), mais aussi le taux d’hormone stimulant la thyroïde (TSH), restent plus bas qu’avant la grossesse.
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Le risque de trois complications de grossesse courantes se dessine avant même la conception
L’examen de la dynamique de trois complications de grossesse parmi les plus courantes, le diabète gestationnel, la pré-éclampsie et l’hémorragie post-partum montre des racines précédent la grossesse même. Les chercheurs révèlent que pour les trois complications, certains des changements significatifs sont observés avant la conception ou après l’accouchement plutôt que pendant la gestation. « Les femmes présentant des facteurs de risque tels que l’obésité ont plus de chances d’avoir des complications et ont également des résultats anormaux avant la grossesse« , pointe notamment Uri Alon.
C’est notamment le cas du diabète gestationnel dont 17 paramètres sur les 20 examinés diffèrent déjà de la norme avant même la conception, parmi lesquels 12 ne divergent que pendant cette période préconceptionnelle. « Ceci est intéressant étant donné que les tests permettant de diagnostiquer des pathologies telles que le diabète gestationnel et la pré-éclampsie sont effectués pendant la gestation« , pointent les scientifiques.
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« Une question fondamentale se pose à propos des complications de la grossesse : la grossesse est-elle à l’origine du problème ou a-t-elle simplement soumis l’organisme à un stress suffisant pour révéler une pathologie sous-jacente qui aurait fini par se manifester autrement ?« , s’interroge Michelle Oyen. Une question qu’elle juge particulièrement importante dans le cas des maladies cardiovasculaires, qui sont la principale cause de décès chez les femmes dans le monde et dont le risque augmente pendant les décennies suivant l’accouchement chez les femmes qui souffrent de complications cardiovasculaires pendant la grossesse.