un-ver-dans-le-cerveau-?-l’etrange-cas-de-robert-kennedy-jr

Un ver dans le cerveau ? L’étrange cas de Robert Kennedy Jr

janvier 17, 2025

Fibrillation auriculaire, dysphonie, intoxication au mercure entraînant de graves problèmes de mémoire, le bulletin de santé du futur ministre de la Santé du gouvernement Trump, Robert Francis Kennedy Jr a été passé au crible par les médias américains au moment où ce dernier se présentait en candidat libre aux élections présidentielles de 2024. Il mettait alors en avant sa relative jeunesse et sa forme « athlétique » face aux candidats favoris, Joe Biden et Donald Trump, âgés respectivement de 82 et 78 ans (Kennedy Jr n’a « que » 71 ans). D’où l’intérêt redoublé des enquêteurs de presse pour la santé passée et présente du neveu du charismatique John F. Kennedy, président des États-Unis de 1960 à 1963 : était-il en si bonne santé que cela ?

Le New York Times révèle en 2024 un détail intriguant dans une déposition de Robert Kennedy Jr dans le cadre d’une procédure de divorce datant de 2012 : il. y affirmait  avoir eu des soucis d’ordre neurologiques lié à la présence d’un ver installé dans son cerveau, lequel en aurait « mangé une partie » et serait ensuite mort.

Un ver parasite dans le cerveau de Robert Kennedy Jr. ?

Ce qui a été pris au départ pour une tumeur cérébrale chez Robert F. Kennedy a été ensuite diagnostiqué comme une parasitose. Quand Sciences et Avenir interroge Rose-Anne Lavergne et Florent Morio du CHU de Nantes, tous deux biologistes au Laboratoire de parasitologie-mycologie médicale et d’Immunologie parasitaire, ceux-ci sont circonspects devant les éléments que la presse américaine rapporte. La thèse la plus logique — et la plus fréquente — selon eux, serait une infestation au Tænia solium après avoir consommé une viande de porc infestée.

Ce que le politicien américain appelle un « ver » logé dans les tissus de son cerveau ne serait en fait que la forme larvaire de ce ver parasite. « La larve ne peut pas se transformer en un ver adulte dans le cerveau d’un humain, c’est impossible. Elle reste à l’état larvaire et s’y calcifie », expliquent-ils.

Des ténias qui ont élus domicile chez l’humain

Afin de comprendre pourquoi cette larve est venu se lover dans le cerveau de Robert Kennedy Jr, il faut avant tout prendre connaissance du cycle d’évolution — assez compliqué — du ténia qui parasite nos intestins. Nous sommes ce que les parasitologues appellent les hôtes définitifs de ces vers appartenant à la classe des cestodes. Autrement dit, c’est dans notre intestin, et chez aucune autre espèce animale, qu’il peut atteindre sa forme adulte et s’y reproduire. Trois espèces de parasites sont à l’origine de cette maladie que l’on appelle le tæniasis humain (ou téniase), la plupart du temps asymptomatique : Tænia solium, Tænia saginata ou Tænia asiatica.

Avant de trouver leur hôte définitif, les larves de ces vers trouvent le chemin de nos intestins en se servant du porc ou bien du bœuf comme hôtes intermédiaires. Cela englobe tous les suidés et les bovidés, mais porc et bœuf étant l’ordinaire de nos régimes alimentaires, c’est de ces chairs dont il faut se méfier.

Les parasites sont transmis par les selles humaines infectées entrant en contact avec l’alimentation du bétail dans un contexte de systèmes d’assainissement de l’eau défaillants, ou encore de recours à des épandages d’excréments humains sur des terres agricoles pour ne citer que des exemples courants. L’animal s’infecte préalablement en ayant ingéré de la matière fécale humaine, porteuse des œufs du ver. Ceux-ci se métamorphosent en embryons, migrent des parois de l’intestin de l’animal vers les muscles, et des organes comme les poumons, le foie, les yeux ou le cerveau.

Lire aussiLes parasites intestinaux responsables de la diarrhée étaient endémiques à Jérusalem pendant la période biblique

Une larve dans le cerveau humain, incident de parcours !

Rappelez-vous : la place idéale du ténia pour devenir adulte est notre intestin. Ses formes juvéniles visent avant tout à atteindre cet organe dans notre organisme. Mais il arrive que celles de Tænia solium, le ver transmis par la viande de porc, atterrissent par accident dans d’autres tissus. L’être humain peut fortuitement devenir hôte intermédiaire. La contamination arrive de l’extérieur par des aliments ou de l’eau souillée. Elle peut également être endogène : « Les œufs d’un ténia adulte peuvent évoluer en embryons dans le tube digestif d’un individu infecté, traverser la muqueuse, se retrouver dans le système circulatoire et atteindre les plus petits capillaires », expliquent Rose-Anne Lavergne et Florent Morio. Quand ces larves infestent d’autres parties de notre corps et y forment des kystes, on ne parle plus de téniase mais de cysticercose humaine, et dans le cerveau, de neurocysticercose.

Que ce ténia ait trouvé son chemin vers le cerveau d’un être humain n’a rien d’extraordinaire. Le plus improbable est que ce cerveau appartient à un ressortissant d’un pays au système de surveillance alimentaire assez performant pour écarter généralement ces parasites ! Robert Kennedy Jr. se serait probablement infecté lors d’un voyage en Asie du Sud, affirmait le New York Times dans son article de mai 2024.

Que se passe-t-il quand une larve de ténia s’installe dans le cerveau humain?

Entre 2003 et 2012, à l’époque où la parasitose de Robert Kennedy Jr a été diagnostiquée, plus de 18.000 patients ont été hospitalisés pour une neurocysticercose aux États-Unis, la majorité d’entre eux étant d’origine hispanique. En France, selon Rose-Anne Lavergne, les cas diagnostiqués de cysticercose ou neurocysticercose en France sont à sa connaissance exclusivement des cas importés.

La maladie est loin d’être anodine et indolore quand elle atteint le cerveau. Ses symptômes peuvent être multiples : des maux de tête, de l’hypertension intracrânienne, une hydrocéphalie obstructive, de l’épilepsie, des hémiplégies transitoires, une encéphalite, un accident vasculaire cérébral, des troubles cognitifs…

Lire aussiUn ver qui parasite les serpents découvert dans le cerveau d’une Australienne

La neurocysticercose, disparue des radars ?

Dans les zones géographiques où elle est endémique, c’est un problème de santé publique majeur dont les malades se comptent par millions. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 30% des épilepsies dans le monde seraient la conséquence de neurocysticercoses provoquées par ces ténias à l’état larvaire, enkystés dans le système nerveux central.

Si la téniase, la cysticercose ou la neurocysticercose semblent avoir disparu de nos radars, en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord, l’histoire du « ver » dans le cerveau du nouveau ministre de la Santé américain rappelle — peut-on y voir de l’ironie? — que ces maladies négligées selon la classification de l’OMS sont toujours présentes pour une large population dans le monde et gagneraient à mobiliser plus de moyens en recherche et en prévention.

fr_FRFrench