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En Cote d’Ivoire, un trafic de clitoris de femmes excisees

septembre 9, 2024

Quand il etait feticheur, persuade que cela lui apporterait du « pouvoir », l’Ivoirien Moussa Diallo (*) s’est regulierement enduit d’un onguent a base de gland du clitoris d’une femme excisee reduit en poudre.

« J’ai mis ca sur mon corps et mon visage pendant trois ans » tous les trois mois environ, « j’avais trop envie d’etre un grand chef », confie le quinquagenaire a l’AFP. C’etait il y a une dizaine d’annees, quand on le consultait comme sorcier et guerisseur autour de Touba dans le nord-ouest du pays.

Ce cas n’est pas unique. Dans plusieurs regions de Cote d’Ivoire, « cet organe est utilise pour faire des philtres d’amour, avoir de l’argent ou acceder a de hautes fonctions politiques », rapporte Labe Gneble, directeur de l’Organisation nationale pour l’enfant, la femme et la famille (Onef).

Instrument utilise par d'ex-exciseuses pres de Touba, dans le nord-ouest de la Cote d'Ivoire, le 10 juillet 2024 (AFP - Issouf SANOGO)
Instrument utilise par d’ex-exciseuses pres de Touba, dans le nord-ouest de la Cote d’Ivoire, le 10 juillet 2024 (AFP – Issouf SANOGO)

Sur le marche clandestin, son prix peut depasser le salaire minimum (75.000 francs CFA, 114 euros).

A Touba, « on entend que c’est tres prise pour des pratiques mystiques », confirme le lieutenant de police N’Guessan Yosso.

Au terme d’entretiens menes aupres d’anciens feticheurs et exciseuses, chercheurs, ONG et travailleurs sociaux, l’AFP a pu etablir l’existence d’un trafic de glands de clitoris de femmes excisees transformes en poudre et vendus pour les pouvoirs qu’on leur prete.

Les origines de ce commerce illegal sont obscures et son ampleur difficile a estimer. Mais les acteurs locaux en sont convaincus, il constitue un des obstacles a la lutte contre l’excision, interdite depuis 1998 en Cote d’Ivoire.

– « Pile avec des cailloux » –

Autour de Touba, a l’epoque ou il etait feticheur, figure parfois consideree comme un medecin traditionnel, M. Diallo, etait souvent sollicite par des exciseuses souhaitant etre protegees des mauvais sorts.

Mory Bamba, responsable religieux musulman ivoirien qui lutte contre l'excision, tient un fetiche utilise par d'ex-exciseuses, pres de Touba (nord-ouest de la Cote d'Ivoire), le 10 juillet 2024 (AFP - Issouf SANOGO)
Mory Bamba, responsable religieux musulman ivoirien qui lutte contre l’excision, tient un fetiche utilise par d’ex-exciseuses, pres de Touba (nord-ouest de la Cote d’Ivoire), le 10 juillet 2024 (AFP – Issouf SANOGO)

Cette mutilation genitale, le plus souvent pratiquee entre l’enfance et l’adolescence, peut etre consideree par les familles comme un rite de passage a l’age adulte ou un moyen de reprimer la sexualite d’une fille, explique l’Unicef.

Perpetuee depuis des siecles par differentes religions en Afrique de l’Ouest, elle constitue une violation des droits fondamentaux selon l’Unicef. En plus de la douleur physique et psychologique, ses consequences sont graves voire mortelles: sterilite, complications en couches, infections, saignements…

En pleine foret ou dans une maison, M. Diallo accompagnait donc les exciseuses dans un lieu sacralise pour l’occasion d’une ou plusieurs dizaines d’excisions. Proche de ces femmes, il pouvait ainsi se procurer la fameuse poudre.

« Quand elles coupent le clitoris », les exciseuses « le font d’abord secher pendant un mois ou deux » puis elle le « pilent avec des cailloux », decrit-il.

Le resultat est une « poudre noire » qu’elles melangent parfois a « des feuilles, des racines, des ecorces » ou « du beurre de karite ».

Poudre noire presentee  comme un melange de chair humaine et de plantes  dans le village de Kamassela pres de  Touba (nord-ouest de la Cote d'Ivoire), le 10 juillet 2024 (AFP - Issouf SANOGO)
Poudre noire presentee comme un melange de chair humaine et de plantes dans le village de Kamassela pres de Touba (nord-ouest de la Cote d’Ivoire), le 10 juillet 2024 (AFP – Issouf SANOGO)

Elles peuvent la vendre environ « 100.000 francs CFA (152 euros) si la fille est vierge », « 65.000 francs CFA (99 euros) si elle a deja eu des enfants » ou la troquer contre des services, poursuit M. Diallo.

Selon l’homme, qui milite desormais contre l’excision, le trafic perdure.

Dans le village ou il habite aujourd’hui, il dit s’etre recemment procure une poudre aupres d’une exciseuse. Un melange de chair humaine et de plantes dit-il, que l’AFP a pu observer sans pouvoir le faire analyser. Le produit est impossible a obtenir sans transaction financiere.

– « Trafic d’organes » –

Selon les villages, le clitoris des fillettes et jeunes filles est habituellement enterre, jete dans une riviere ou donne aux parents, expliquent d’anciennes exciseuses a l’AFP.

Mais l’une d’elle, interrogee dans l’ouest du pays sous couvert de l’anonymat, confirme l’utilisation occulte de clitoris arraches aux femmes.

« Des gens se faisaient passer pour les parents des filles et repartaient avec le clitoris », se souvient-elle.

Ancien site d'excision dans le village de Kamassela, pres de Touba dans le nord-ouest de la Cote d'Ivoire, le 10 juillet 2024 (AFP - Issouf SANOGO)
Ancien site d’excision dans le village de Kamassela, pres de Touba dans le nord-ouest de la Cote d’Ivoire, le 10 juillet 2024 (AFP – Issouf SANOGO)

Parmi ces imposteurs, des feticheurs qui utilisaient l’organe lors d' »incantations » et le vendaient ensuite, affirme-t-elle.

Une autre accuse des consoeurs d’avoir ete complices. Elles « donnaient ca a des gens qui faisaient un mauvais travail » a des fins mystiques.

Mutilee lorsqu’elle etait enfant, Bintou Fofana (*), trentenaire, raconte comment sa mere, au courant de ce commerce, lui a explique avoir tenu a recuperer la chair retiree.

Au regard du droit ivoirien, le commerce du gland du clitoris est « un trafic d’organes » et un « recel » punissable, comme l’excision, de plusieurs annees de prison et d’amendes, souligne l’avocate Me Marie Laurence Didier Zeze.

La prefecture de police basee a Odienne, qui couvre cinq regions du nord-ouest ivoirien, indique n’avoir jamais poursuivi personne pour un tel trafic.

« Les gens ne donnent pas d’informations sur les choses sacrees », deplore le lieutenant N’Guessan Yosso.

Selon des habitants interroges a Touba, les exciseuses, considerees comme prisonnieres d’esprits malefiques, sont craintes et respectees.

– « Farfelu » –

« Le clitoris ne peut pas donner de pouvoirs », balaye la gynecologue Jacqueline Chanine basee a Abidjan, « c’est farfelu ».

La pratique se retrouve pourtant dans plusieurs regions, temoignent des chercheurs.

Fetiches abandonnes par d'ex-exciseuses dans le village de Kamassela, pres de Touba (nord-ouest de la Cote d'Ivoire), le 10 juillet 2024 (AFP - Issouf SANOGO)
Fetiches abandonnes par d’ex-exciseuses dans le village de Kamassela, pres de Touba (nord-ouest de la Cote d’Ivoire), le 10 juillet 2024 (AFP – Issouf SANOGO)

Le socio-anthropologue de la sante Dieudonne Kouadio a pu s’en rendre compte a l’occasion de travaux sur l’excision menes a 150 km au nord de Touba, dans la ville d’Odienne.

« On m’a presente une boite qui contenait justement l’organe ablate, seche, sous forme de poudre un peu noiratre », raconte ce chercheur a l’universite de Bouake.

Il a fait part de cette decouverte dans une etude realisee avec la fondation Djigui, acteur important de la lutte contre les mutilations genitales feminines en Cote d’Ivoire.

Le ministere de la Femme, qui a valide les conclusions de cette etude parue en 2021, n’a pas donne suite aux demandes de reaction de l’AFP.

Dans le district du Denguele, dont fait partie Odienne, des agriculteurs « achetent des clitoris. Ils melangent la poudre avec les semences pour ameliorer la production de leurs champs », detaille Nouho Konate membre de la fondation Djigui qui recolte des informations depuis 16 ans sur l’excision.

Pendant les actions de sensibilisation qu’il organise, M. Konate revele l’existence de ce trafic aux parents de jeunes filles, qui sont « abattus ».

Plus au sud, dans le centre-ouest, des femmes utilisent des clitoris reduits en poudre comme aphrodisiaques, esperant par exemple empecher leur mari d’etre infidele, explique la docteure en criminologie Safie Roseline N’da, auteure avec deux chercheurs en sociologie d’un article scientifique sur la lutte contre l’excision paru en 2023 qui mentionne ce trafic.

Les trois universitaires rapportent egalement l’utilisation du sang de femmes excisees pour adorer des dieux.

Ce n’est pas la seule pratique occulte liee a l’utilisation d’une partie du corps dans ce pays, selon Me Didier Zeze.

« Le mystique y a une dimension centrale dans la vie quotidienne, il touche toutes les spheres de la vie sociale, professionnelle, amoureuse, familiale », note l’anthropologue canadien notamment specialiste des pratiques occultes en Cote d’Ivoire Boris Koenig, sans que cela ne soit generalement « illicite » ajoute-t-il.

– « Survivance » –

Ce commerce est « une des raisons de la survivance des mutilations genitales feminines » en Cote d’Ivoire, denonce la fondation Djigui comme l’Onef, ONG de lutte pour l’amelioration des conditions de vie des femmes depuis les annees 1990.

Le taux de prevalence de l’excision a baisse dans le pays depuis son interdiction et reste en deca de la moyenne ouest-africaine (28%), selon l’OCDE (Organisation de cooperation et de developpement economiques).

Mais une Ivoirienne sur cinq affirme encore avoir subi des mutilations genitales et dans certaines regions du nord, le taux peut depasser 50%.

Dans les lieux ou etait appele l’ancien feticheur Diallo, jusqu’a « 30 femmes » etaient excisees en une journee, assure-t-il. La periode de janvier a mars est privilegiee, quand l’harmattan chaud et sec permet une meilleure cicatrisation, precise-t-il.

A Touba, les agents du seul centre social de la region constatent que l’excision se poursuit clandestinement et reste difficile a evaluer.

Elle se cache derriere des fetes traditionnelles sans lien apparent, disent-ils evoquant la venue d’exciseuses de la Guinee voisine, situee a quelques kilometres et ou le taux d’excision depasse les 90%.

(*) Les noms ont ete modifies.

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