Un pas de plus vient d’être franchi vers le recours aux organes universels. Tel est en résumé l’apport d’un travail tout juste publié dans la revue Nature Biomedical Engineering. Conduit par l’équipe de l’université canadienne de la Colombie-Britannique (UBC), il poursuit un but pour le moins ambitieux : s’affranchir des limites de la compatibilité pour réduire les délais d’attente des greffes.
Ici, et pour la première fois chez l’Homme avec une manipulation in vivo, les chercheurs sont parvenus à modifier un organe de donneur initialement de groupe A en un groupe 0 pour le transplanter chez un patient de type 0 en état de mort cérébrale, le geste ayant été réalisé avec l’accord de sa famille, afin d’étudier à moindre risque la manipulation.
Les chercheurs ont voulu agir directement au niveau de l’organe à transplanter
A la lecture du communiqué de l’université, l’expérience semble presque simple, puisque « c’est comme enlever la peinture rouge d’une voiture et découvrir l’apprêt neutre », résume Stephen G. Withers, professeur émérite au département de chimie et co-auteur de l’étude. En pratique, il faut néanmoins admettre que les choses sont un peu plus compliquées.
Les chercheurs ont voulu agir directement au niveau de l’organe à transplanter, ici un rein provenant d’un donneur de type A, afin d’en éliminer les antigènes portés par les tissus, cellules et vaisseaux de l’organe, pour pouvoir le transplanter à un receveur de type 0, a priori non compatible.
Car pour mémoire, et afin d’éviter les réactions de rejet, les transplantations d’organe doivent impérativement respecter une règle dictée par les groupes sanguins, celui des donneurs devant être compatible avec celui des receveurs. En pratique, les patients de type AB, dits receveurs universels, sont les plus chanceux puisqu’ils sont compatibles avec tout le monde. Par ailleurs, les A ne peuvent eux recevoir que des A ou des O, les B que des B ou des O, et les grands perdants sont bien sûr les 0, certes donneurs universels mais ne pouvant recevoir que des O. Ce sont par conséquent les plus impactés, car ils doivent souvent attendre plus longtemps que les autres des organes compatibles.
Lire aussiCe que révèlent nos groupes sanguins
Des approches centrées sur les organes et plus rapides
Pour pouvoir à terme accélérer ces transplantations et réduire leurs délais d’attente, voilà déjà plusieurs années que différentes équipes développent des techniques agissant sur le système immunitaire du receveur afin d’en éliminer les anticorps circulants. Mais ces protocoles longs et complexes restent peu adaptés au contexte d’urgence des greffes. D’où des approches de conversion enzymatique centrées directement sur les organes et plus rapides.
Cette fois, les chercheurs ont utilisé avant la transplantation un dispositif de perfusion permettant de faire circuler le rein une solution contenant deux enzymes digestives dites de conversion, FpGalNAc deacetylase and FpGalactosaminidase, déjà identifiées par la même équipe de l’UBC en 2019 puis testées en 2022, mais uniquement ex vivo sur des poumons par une autre équipe canadienne de Toronto (Ontario) qui n’avaient pas ensuite été transplantés mais laissés dans le dispositif de perfusion.
Vue du rein, avant transplantation, dans un dispositif de perfusion qui fait circuler une solution contenant les enzymes de conversion. Crédits : Nature Biomedical Engineering
Lire aussiGreffe : mieux préserver les greffons, une adaptation nécessaire
Le rein a fonctionné pendant deux jours sans aucun signe de rejet
Cette fois, la manipulation a bien eu lieu in vivo, chez un patient en état de mort cérébrale et après accord de sa famille. Une fois la transplantation réalisée, le rein a fonctionné pendant deux jours sans aucun signe de rejet. Au troisième jour cependant, une réaction immunitaire légère a été constatée, mais avec semble-t-il moins de dommages que lors d’une incompatibilité classique, comme le soulignent les auteurs dans leur étude.
Ce travail prometteur, mais encore expérimental, ouvre donc incontestablement la voie à des transplantations plus rapides avec des organes initialement incompatibles qui, sous l’action d’un traitement chimique, deviennent tout à fait greffables. D’autres questions devront toutefois être étudiées, comme la faisabilité clinique d’une telle expérience ou la tolérance à moyen et long terme des organes transplantés.
