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La violence laisse-t-elle des traces au niveau génétique sur plusieurs générations ?

mars 17, 2025

La violence laisse des traces au plus profond des victimes. On sait bien que le développement de tout individu dépend de son environnement, grâce en partie à l’épigénétique. Celle-ci permet de faire le lien entre l’ADN de chacun et son contexte de vie (son âge, sa santé, son alimentation, etc.), activant ou désactivant des gènes pour adapter le corps de chacun à son environnement et ses expériences. Ainsi, des évènements très stressants peuvent causer des modifications épigénétiques, car le corps tente de s’adapter à ce nouveau contexte.

Ces répercussions ont été observées à maintes reprises chez des modèles animaux (des souris ayant subi des traumatismes, par exemple) et commencent aussi à devenir évidentes chez l’humain, de survivants de l’Holocauste aux réfugiés syriens ayant vécu la sanglante guerre civile de leur pays. Une nouvelle étude analysant l’épigénétique de ces réfugiés montre que ces modifications épigénétiques se transmettent de génération à génération, accélérant le vieillissement biologique des enfants de ces victimes. L’étude, réalisée par des chercheurs de l’Université Hashemite en Jordanie et l’Université de Floride aux États-Unis, a été publiée le 27 février 2025 dans la revue Scientific Reports.

Une adaptation épigénétique au stress qui pourrait devenir nuisible

L’hypothèse des auteurs était la suivante : l’évolution a peut-être créé une programmation épigénétique spécifique au grand stress, afin de permettre aux individus d’adapter leur réponse à ce stress très rapidement. Dans cette hypothèse, l’héritabilité de ces marqueurs épigénétiques permettrait à la descendance de naître déjà mieux adaptée à ce stress, profitant de la grande plasticité développementale de l’embryon. Mais ces adaptations à court terme pourraient devenir contreproductives à long terme, augmentant le risque de développer certaines maladies.

Trois générations de personnes exposées à la violence

Pour la vérifier, les auteurs ont analysé trois générations de réfugiés syriens vivant actuellement en Jordanie, avec différentes expositions à la violence : directe (la personne a vécu directement ces évènements), prénatale (la personne était dans l’utérus de sa mère au moment où celle-ci a subi ces violences), et indirecte par les cellules germinales, où les parents de la personne ont subi ces violences avant d’avoir des enfants, ce qui aurait pu laisser des traces dans leurs cellules germinales (qui donneront lieu aux cellules sexuelles, par lesquelles ces marqueurs pourraient passer à ladite personne).

Les évènements violents en question étaient le massacre de la ville de Hama, en 1982 (lorsqu’un commando de l’organisation terroriste des Frères musulmans a tué 70 personnes), et la guerre civile des années 2010. Trois générations étaient issues du premier évènement : les grandes mères ont vécu directement ces violences à Hama étant enceintes, leurs filles y ont été exposées prénatalement, et leurs enfants à elles n’ont pas été exposés directement, mais par la voie des cellules germinales. Et deux du deuxième événement : les mères, exposées directement à la violence de la guerre civile et qui étaient déjà mères et enceintes à ce moment ; leurs enfants ainés, exposés directement aussi aux violences, et les enfants qu’elles portaient au moment de la violence, exposés donc prénatalement. Ces groupes ont été comparés à des femmes syriennes ayant quitté la Syrie avant 1980, qui n’ont pas subi d’évènement violent majeur. Un total de 131 personnes ont participé à l’étude, issues de 48 familles.

Une signature épigénétique des violences ?

Les auteurs ont analysé la méthylation de l’ADN de tous les participants. Cette analyse a mis en évidence une trentaine de méthylations qui semblent spécifiques à cette exposition à la violence, étant visibles dans les trois générations d’exposition, mais pas dans le groupe contrôle. Il y aurait donc bien une « signature » épigénétique de la violence, et plus une personne avait subi des violences, plus cette signature était forte. Mais pour le moment, les preuves restent assez faibles à cause du peu de participants et nécessitent d’être confirmées par d’autres études.

Ces violences auraient un impact plus important lorsque l’exposition est prénatale

Les chercheurs ont aussi analysé l’âge biologique des participants, afin de déterminer si les violences subies pouvaient accélérer le processus de vieillissement. Ce n’était pas le cas chez tous les participants, mais seulement chez ceux exposés à la violence étant enfants ou dans le ventre de leurs mères. Montrant à quel point ces violences peuvent être nuisibles pour le développement, notamment in utero.

Nous pensons que notre travail est pertinent pour tout type de violence, pas seulement chez les réfugiés, affirme dans un communiqué Connie Mulligan, directrice de l’étude. Les violences conjugales, les violences sexuelles, les violences par arme à feu… nous devons étudier les conséquences de ces violences, nous devons les prendre plus au sérieux.

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