Les fraudes détectées et stoppées par l’Assurance maladie ont plus que doublé en cinq ans, à 628 millions d’euros en 2024, un bond qui illustre l’accroissement des efforts anti-fraude mais aussi l’industrialisation des arnaques.
Sur ce montant, 416 millions d’euros proviennent des professionnels de santé en ville (68%), 109 millions des assurés sociaux eux-mêmes et le reste (14%) des hôpitaux, cliniques et autres établissements de santé, selon les chiffres publiés jeudi par l’Assurance maladie.
Dans les soins de ville, les audioprothésistes – ou plutôt ceux qui se prétendent tels – arrivent en tête des professionnels concernés par la fraude, avec 115 millions d’euros de fraude détectée, une multiplication par quatre par rapport à 2023.
Suivent les pharmaciens (62 millions d’euros), les infirmiers (56 millions d’euros) et les transporteurs (42 millions d’euros).
« La réforme du 100% santé, très positive en matière d’accès aux soins » en permettant l’équipement en prothèses auditives sans reste à charge, « a malheureusement aussi ouvert un espace de fraude (…) très diversifié », avec « des fausses sociétés, des faux audio-prothésistes sans diplôme, des facturations fictives bien organisées entre parfois prescripteurs, audioprothésistes et patients », a expliqué Thomas Fatôme, le directeur général de l’Assurance maladie.
En 2024, l’Assurance maladie a contrôlé 55.000 factures d’audioprothèses de manière approfondie, et en a rejeté 20.000.
Sept personnes ont été mises en examen, soupçonnées d’être impliquées dans une fraude massive aux prothèses auditives, au préjudice pour l’Assurance maladie évalué entre 5 et 6 millions d’euros, a-t-on appris jeudi de source judiciaire.
Des « sociétés coquilles vides », en Ile-de-France, Hauts-de-France et Grand Est, ont facturé « des actes fictifs et du matériel non délivré », a précisé à l’AFP l’Assurance maladie. Parmi les suspects, « certains médecins » qui « participaient activement » à la fraude.
– « Parasites » –
Du côté des assurés sociaux, l’Assurance maladie a notamment repéré et stoppé 42 millions d’euros de fraude aux arrêts de travail, soit 2,4 fois plus qu’en 2023.
« Cette hausse s’explique principalement par une recrudescence des faux arrêts de travail vendus sur les réseaux sociaux, avec des kits prêts à l’emploi composés de faux arrêts – souvent de plusieurs mois – et de faux certificats de travail », indique l’Assurance maladie.
D’une manière générale, en quelques années, « on est passé d’une fraude artisanale et un peu opportuniste (…) à une fraude qui est beaucoup plus organisée, beaucoup plus professionnalisée et avec des méthodes de plus en plus sophistiquées », a expliqué Marc Scholler, directeur délégué de l’Assurance maladie en charge de la fraude.
Cela est notamment dû, selon lui, à l’arrivée de fraudeurs « bien souvent extérieurs au monde de la santé, qui s’y greffent comme des parasites ».
« On assiste à des recrutements via les réseaux sociaux, par de la publicité, (…) de mules pour certains trafics », c’est-à-dire « de personnes qui prêtent leur identité et intègrent » des schémas frauduleux « parfois à leur insu », a-t-il expliqué.
– Usurpation d’identité –
« On a aussi du phishing et de l’ingénierie sociale », notamment « pour usurper l’identité d’un professionnel de santé, d’un assuré et donc parfois de bénéficier de prestations, de facturations indues », a-t-il ajouté.
Face à ces nouvelles menaces, l’Assurance maladie se perfectionne: elle s’est équipée de nouveaux outils numériques, a renforcé de 10% ses effectifs de lutte contre la fraude pour arriver à 1.600 agents, recrutant des statisticiens et enquêteurs spécialisés dotés de pouvoirs de police judiciaire, notamment de cyberenquête.
Faut-il aussi créer une carte Vitale biométrique, comme le réclament régulièrement des responsables politiques?
« La sécurisation des droits, c’est-à-dire vérifier que les personnes qui ont des remboursements ont des droits à l’assurance maladie, est une priorité », a déclaré M. Fatôme.
Tout en rappelant qu’un rapport récent de l’Inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires sociales a souligné que le déploiement d’une telle carte Vitale biométrique aurait un caractère « absurde, coûteux, inefficace, et disproportionné ».
Selon l’Assurance maladie, en 2024, seuls 6 millions d’euros de fraude détectée étaient liés à une fausse identité.
Les dépenses totales de l’Assurance maladie se sont élevées à environ 257 milliards d’euros en 2024.