Un dernier effort et ça y est, le fœtus qui habitait l’utérus de sa mère depuis des mois devient un bébé. La température change et l’oxygène afflue, pour ce nouvel individu le moment de la naissance a tout changé. Dans son cerveau, les cellules souches embryonnaires destinées un jour à devenir des neurones s’activent et leur métabolisme se modifie, démontrent de nouveaux travaux sur la souris de l’université de Nagoya City (Japon) publiés dans la revue Science Advances. Et surprise, selon que la naissance est à terme ou prématurée, leur devenir diffère au point de changer la genèse de nouveaux neurones plus tard dans la vie. C’est la toute première étude qui démontre un effet direct de la naissance sur le destin des cellules souches de l’organisme.
La naissance à terme fait rentrer les cellules souches neuronales en dormance
« Il est très surprenant que la naissance prématurée elle-même provoque des anomalies de la fonction des cellules souches neuronales« , relève le neuroscientifique Kazunobu Sawamoto, qui a dirigé ces travaux. Les souris nées prématurées ne montraient en effet ni hypoxie (manque d’oxygène), ni ischémie (défaut d’irrigation sanguine), ni inflammation, pointe le scientifique. Le moment de la naissance est donc seul responsable des modifications observées dans les cellules souches neuronales de souris, situées au cœur du cerveau dans la zone sous-ventriculaire.
Lorsque la naissance se produit à terme, ils observent que la majorité des cellules souches neuronales activent un gène nommé Glul qui provoquent leur « mise en veille ». Cet état de quiescence, comme le nomment les scientifiques, est essentiel pour qu’elles restent disponibles pour devenir des neurones fonctionnels en grandissant : on parle de neurogenèse. « Chez l’humain, la neurogenèse postnatale est considérée comme jouant un rôle important dans le développement et la plasticité du cerveau », précisent les auteurs dans la publication.
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Une naissance prématurée diminue la possibilité de neurogenèse
Mais chez les nouveau-nés prématurés, c’est un autre gène qui s’active, mTORC1, empêchant celui de Glul. Résultat, les cellules souches neuronales sont transitoirement suractivées au lieu d’entrer en dormance et beaucoup commencent très tôt leur transformation en progéniteurs neuronaux – le stade avant le neurone fonctionnel. « Les naissances prématurées provoquent un épuisement du pool de cellules souches neuronales actives chez le jeune adulte, ce qui entraîne une diminution de la neurogenèse« , ajoute Kazunobu Sawamoto.
Bien sûr, l’étude étant sur la souris, les chercheurs ne peuvent pas assurer que ces processus biologiques sont conservés chez l’humain. « Nous pensons que cela est possible« , avance cependant Kazunobu Sawamoto. Au cours de leurs travaux, le chercheur et son équipe ont d’ailleurs récolté des indices concordants en observant des cerveaux de nouveaux-nés humains post mortem. Dans la zone sous ventriculaire de ceux qui étaient nés prématurément, ils y observent tout comme chez la souris née prématurée un nombre significativement réduit de neuroblastes, ces « pré-neurones » essentiels à la neurogénèse.
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Cependant, les chercheurs ne savent pas si cet amoindrissement chez le nouveau-né humain était dû, comme chez la souris, à une hyperactivation des cellules souches embryonnaires et à l’épuisement des cellules souches neuronales qui s’ensuit. « Si l’on considère que le stade du jeune adulte chez la souris équivaut à la petite enfance et à l’enfance chez l’humain, la diminution de la neurogenèse postnatale pourrait être une cause de l’aggravation du développement neurologique chez les enfants prématurés« , concluent les auteurs.
MYSTERE EVOLUTIF. « Notre découverte pourrait expliquer pourquoi la capacité de régénération des vertébrés terrestres, tels que les oiseaux et les mammifères, est inférieure à celle des vertébrés aquatiques comme les poissons« , avance Kazunobu Sawamoto. Alors que les premiers passent, comme nous, d’un état d’hypoxie dans l’œuf, l’eau ou l’utérus, à un afflux d’oxygène dans l’air, les seconds restent en état d’hypoxie qui conserverait leurs cellules souches en dormance.
Une potentielle cible thérapeutique pour préserver la neurogenèse
« Les prématurés présentent un risque élevé de troubles du développement neurologique, dont les mécanismes pathologiques ne sont pas élucidés« , commente Kazunobu Sawamoto. « Nos résultats suggèrent que la diminution de la neurogenèse postnatale pourrait être une cause de l’aggravation des résultats neurodéveloppementaux chez les prématurés. » Si leurs découvertes se confirmaient chez l’humain, le gène mTORC1 pourrait être une cible thérapeutique intéressante pour améliorer la diminution de la neurogenèse postnatale chez ces nouveau-nés, espère le chercheur.
Un enfant est considéré prématuré lorsqu’il nait avant 8,5 mois de grossesse environ, soit la 37e semaine d’aménorrhée (au lieu de 41 pour une naissance à terme). Elle concerne 55.000 nourrissons par an en France selon l’Inserm et 13,4 millions de nouveau-nés dans le monde en 2020, soit un peu plus d’un sur dix, d’après l’Organisation mondiale de la Santé.