Facilitant aussi bien les voyages dans l’espace que la résistance aux radiothérapies contre le cancer, il sera peut-être bientôt possible aux humains d’utiliser la génétique des tardigrades pour mieux résister aux radiations, avancent de nouveaux travaux publiés dans la revue Nature Biomedical Engineering.
Avec leur petite taille – moins d’un millimètre – et leur apparence étrange évoquant un traversin sans visage, les tardigrades sont connus comme les animaux les plus résistants sur Terre. En état de dormance, ou cryptobiose, ils supportent des températures extrêmes allant de -273°C à +273°C, une pression allant jusqu’à 7500 bars (soit 75 fois la pression ressentie à 1.000 mètres de profondeur) et des doses de radiation 1.000 fois plus élevées que la dose létale pour les humains. « La biotechnologie inspirée du tardigrade pourrait améliorer la résistance humaine à des conditions extrêmes« , s’enthousiasme le Pr James Byrne, oncologue radiothérapeute à l’IOWA Health Care Medical Center (Etats-Unis) et qui a co-dirigé ces nouveaux travaux.
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Dsup, bouclier de l’ADN contre les radiations
L’élue des scientifiques se nomme Dsup (pour « damage suppressor », « suppresseur de dégâts » en français). Cette protéine a été identifiée dans de précédents travaux chez l’espèce de tardigrades Ramazzottius varieornatus, qui présente une tolérance extrême aux radiations. « Les cellules humaines exprimant Dsup ont montré un taux de survie 1,5 fois plus élevé après une exposition à de fortes doses de radiations« , rapporte le Pr Giovanni Traverso, gastroentérologue au Brigham and Women’s Hospital et qui a co-dirigé l’étude.
Dans le noyau des cellules, Dsup se lie à l’ADN et le protège des cassures induites par les radiations. « D’autres systèmes de réparation de l’ADN très efficaces et une résistance au stress oxydatif, jouent également un rôle dans la résistance des tardigrades aux radiations, mais Dsup est l’un des facteurs clés« , explique James Byrne. Pour un effet transitoire et plus sûr, ce n’est pas le gène de Dsup lui-même qui a été introduit dans les cellules humaines et animales, mais son ARNm à partir duquel la cellule fabrique elle-même la protéine.
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35% de destruction cellulaire en moins chez la souris et le cochon miniature
Chez la souris et le cochon miniature, le niveau de protection était encore plus important que prévu, rapporte James Byrne, avec 40 à 60% de dommages induits par les radiations en moins dans l’ADN ! Ces cassures d’ADN rendent la radiothérapie toxique en provoquant le suicide massif des cellules touchées. Les lambeaux qui en résultent alimentent alors une inflammation de la muqueuse, en conséquence de quoi les patients traités au niveau de la bouche ou du système gastro-intestinal peuvent respectivement rendre la déglutition douloureuse ou causer des saignements rectaux. Mais l’administration locale de l’ARNm de Dsup a réduit ce suicide cellulaire induit par les radiations d’environ 35% dans les tissus ciblés, se réjouissent les chercheurs.
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Si cette administration doit être locale, c’est bien sûr pour ne pas étendre la protection de Dsup aux cellules tumorales que l’on souhaite éliminer par radiations. Pour s’en assurer, l’ARNm de Dsup a été encapsulé dans des nanoparticules lipidiques combinées à des polymères biodégradables « assurant une absorption locale dans les tissus ciblés tels que les muqueuses buccales et rectales« , explique Giovanni Traverso. De plus, les injections ont été réalisées uniquement dans les tissus cibles. Tout aussi important, « le contrôle des tumeurs a été préservé« , ajoute le gastroentérologue, « ce qui signifie que Dsup n’a pas interféré avec l’efficacité de la radiothérapie contre les tumeurs, ce qui est particulièrement prometteur !« .
Patients, astronautes, militaires, de nombreux usages potentiels chez l’humain
Ces résultats pourraient probablement être améliorés en optimisant la méthode d’administration, ou en modifiant Dsup pour augmenter ses propriétés de liaison à l’ADN et donc sa capacité de protection. « Nous pourrions également combiner Dsup avec des facteurs favorisant la réparation de l’ADN pour créer un système de double protection« , imagine James Byrne. D’autres études devront également être faites pour en évaluer la sécurité et l’efficacité chez l’humain avant d’envisager son administration aux patients.
Mais pour les médecins, le jeu en vaut la chandelle. « La radiothérapie est l’un des principaux traitements du cancer. L’utilisation de méthodes visant à prévenir ses effets secondaires améliorera la qualité de vie de nos patients pendant le traitement et, éventuellement, des mois et des années plus tard« , espère Giovanni Traverso. Ultimement, Dsup pourrait même être utilisée pour protéger les astronautes, les militaires ou toutes autres personnes susceptibles d’être exposées à de fortes doses de radiations.