Et si les MICI (comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, lire l’encadré ci-dessous), des affections en augmentation qui concernent 200.000 personnes en France, étaient en lien avec la pollution des sols ? Telle est la question qui sous-tend un programme de recherche original dit CROPS (CRohn’s disease and Pollution of. Soils) en cours dans le nord de la France.
Au programme de la première journée dédiée à la recherche sur les MICI et l’environnement organisée début janvier 2025 à la Direction Générale de la Santé (Paris) par l’association de patients afa Crohn RCH France, ses premiers résultats ont été présentés à la communauté scientifique par sa coordinatrice, le Pr Annabelle Deram (université de Lille, laboratoire génie civil et géo-environnement, LGCgE).
Maladie de Crohn : le nord de la France particulièrement touché
Pour bien comprendre ces travaux, il faut savoir qu’en France, le nombre de nouveaux cas annuels de maladie de Crohn est compris entre 4 et 5 pour 100.000 habitants.
Or, dans le nord de la France qui cumule déjà de tristes records en matière de santé publique, on sait déjà depuis plusieurs années que l’incidence y est supérieure (5,7 cas pour 100.000 habitants). Des données qui proviennent du registre Epimad mis en place au CHU de Lille en 1988, une précieuse aide qui permet depuis aux chercheurs et aux médecins de suivre tous les patients atteints de MICI dans quatre départements (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Seine-Maritime).
Mais, face à ces affections dont l’origine reste toujours inconnue et qui concernent surtout les jeunes adultes (15% d’enfants), de récents travaux d’Epimad parus à l’automne 2024 dans la revue The Lancet ont montré, dans une étude de grande envergure réalisée sur 30 ans, que leur incidence continuait d’augmenter tout particulièrement dans le nord de la France, surtout chez les enfants et les jeunes adultes. Pour la maladie de Crohn, l’incidence est ainsi passée de 5,1/105 en 1988-1990 à 7,9/105 en 2015-2017.
De plus, sur les quatre départements couverts par Epimad, différentes zones géographiques, des clusters locaux de sur et de sous incidence des MICI, ont été identifiés. C’est d’ailleurs cette hétérogénéité territoriale qui a interpellé les chercheurs du consortium HEROIC, dont le Pr Deram, environnementaliste très éloignée de la gastroentérologie et de la maladie de Crohn dont elle avouait tout ignorer quand elle a commencé ses travaux.
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« Le sol, on le respire et on le mange »
Car au-delà de l’influence de l’air et de l’eau sur nos organismes, peut-être faut-il aussi compter sur nos interactions avec le sol. « Le sol, on le respire et on le mange », résume la spécialiste. Trois modes de contamination sont décrits : l’’inhalation de poussières et de gaz émis par les sols, le contact cutané direct et enfin l’ingestion, soit d’aliments contaminés et celle, volontaire ou involontaire, de particules.
Au final, « on estime qu’un adulte ingère en moyenne 23 mg de sol (l’équivalent d’environ un grain de riz) par jour, mais c’est 100 fois plus pour un enfant, soit 208 mg par jour », précise le Pr Deram.
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Une fois constituée, l’équipe multidisciplinaire du projet (géologues, chimistes, ingénieurs, sociologues, historiens, biologistes, statisticiens…), a pu établir une cartographie de sept différents profils environnementaux (allant des centres urbains les plus denses aux espaces les moins artificialisés). Différents prélèvements y ont été effectués et désormais, il s’agit d’analyser les données pour voir si des liens peuvent être établis avec les clusters de sur et sous incidence des MICI et le type de profil environnemental.
Pour l’instant, les tout premiers résultats ont retrouvé une association entre les clusters de sur incidence des MICI et les zones d’agriculture intensive (zones de culture de betterave sucrière, endive) et de pollution industrielle historique aux métaux (arsenic, zinc, cuivre). »Mais attention, corrélation ne signifie pas causalité », avertit le Pr Deram.
Les travaux doivent donc se poursuivre avec de nouvelles campagnes de terrain à la recherche de polluants conventionnels mais aussi, plus original, de ceux dits émergents (résidus de médicaments et perturbateurs endocriniens). Le financement doit être trouvé, puis il n’y a plus qu’à creuser.
Que sont les MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin) ?
Ce terme regroupe maladie de Crohn (MC) et rectocolite hémorragique (RCH), deux maladies digestives qui se caractérisent par l’inflammation de la paroi d’une partie du tube digestif, due à une dérégulation du système immunitaire. Elles concernent plutôt les jeunes adultes et évoluent par poussées inflammatoires, de manière très variable d’un patient à l’autre, alternant avec des phases de rémission.
Dans la maladie de Crohn, l’inflammation peut toucher tous les segments du tube digestif (de la bouche à l’anus), mais se localise le plus souvent au niveau de l’intestin et touche fréquemment l’iléon terminal, avec ou sans atteinte colique.
Dans la rectocolite hémorragique, l’inflammation affecte toujours la partie basse du rectum et remonte plus ou moins dans le côlon, mais l’intestin n’est jamais touché.
Pour en savoir plus :
– consultez le dossier de l’Inserm sur les MICI
– rendez-vous sur le site de l’association afa Crohn RCH France